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Soulever les paupières invisibles

Un essai sur la logique du monde et de l'esprit
SOMMAIRE

Soulever les paupières invisibles

Un essai sur la logique du monde et de l'esprit

Chapitre 12

De l’intérêt d’être irrationnel

Ou le piège du rationalisme

Je vais amener le sujet de ce chapitre à l’aide d’une assez longue réflexion personnelle que j’ai eue quand j’étais plus jeune, réflexion à propos des notes attribuées aux films et aux jeux-vidéo (et par extension une réflexion à propos de l’évaluation de la valeur des chosechoses). Bien que je la trouve assez intéressante (raison pour laquelle je l’ai incluse ici), elle n’est vraiment pas nécessaire pour comprendre le coeur de chapitre (se trouvant en dessous du premier encadré, « Du précis avec de l’imprécis : la fixation des idées »).

Mots clés : appréciationappréciation, attente, prévision, croyance.

Coller une note à un travail artistique

Il y a quelques années (ce texte ayant été écrit autour de 2010), je pestais contre une tendance qui m’énervait et que je ne comprenais pas. Il s’agit de la manière dont les gens critiquent les œuvres de l’esprit, critiques que l’on voit fleurir partout sur le net depuis maintenant une quinzaine d’années. Et ce phénomène s’est renforcé récemment depuis que les sites proposent à tout le monde de donner son avis sur les films, séries, jeux-vidéo et autres livres.

Je m’indignais en particulier contre le principe de mettre une note à une œuvre. Selon moi, les films et les jeux-vidéo ne peuvent être approchés comme une dictée ou comme un devoir de mathématiques : passé une certaine mesure (technique dans les graphismes par exemple) il n’y pas de moyen rationnel d’évaluation.

Les ressentis sont tellement subjectifs qu’il en devient assez ridicule d’essayer de noter mathématiquement (attribuer une note sur 20 par exemple) pareille œuvre.

Critères objectifs et satisfaction

Par exemple, un film ou un jeu vidéo peut être de qualité « minable » : je pense au genre de film dont le scénario tient sur un timbre-poste, dans lequel un gros dur tabasse tout le monde ; je pense à ce jeu vidéo basique dans lequel il faut avancer et dégommer les cibles, etc. À bien des égards, ces œuvres sont « nulles », mais pourtant on peut ressortir satisfait d’une séance de ce genre de chosechoses. « Satisfait » est le mot, car je pense qu’ici notre contentement provient de la satisfaction de valeurs primitives, limites physiques et animales.

Dans le sens inverse, il y a ces films à la réalisation parfaite, scénario bluffant, blindé d’acteurs au CV impressionnant, le genre de film dont tout le monde parle au moment de leur sortie… Et pourtant, qui ne s’est jamais ennuyé devant un film correspondant à ces critères ? Il peut arriver que tout le long du visionnage, on se demande quand est-ce que ça va « décoller », pour finir nez à nez avec une fin qui justement nous laisse sur notre faim… Bien sûr, cela vaut aussi pour ce genre de jeux, unanimement acclamés par les testeurs via des notes quasi-parfaites, doté d’une jouabilité exemplaire, d’une réalisation graphique sans pareille, d’un scénario bien construit, d’une bande son de rêve… Bref le jeu dont vous êtes surexcité à l’idée de recevoir, puis qui devient très vite une corvée une fois entamé. Vous pouvez n’avoir qu’une seule envie, c’est de le finir et de passer au suivant. Ce qui est tout de même dommage pour une réalisation de cet acabit.

En outre, le ressenti d’une même personne par rapport à une même œuvre peut varier d’une expérience à l’autre, d’une période à une autre, de son état mental actuel, de son conditionnement (on peut tout simplement passer à côté de la valeur d’une œuvre)… Ce qui ne fait que mettre en évidence l’aberration d’une telle notation.

Aberrant peut être, mais pratique… mais aberrant quand même

Mais c’est sans compter l’atout majeur d’un tel système : il n’y a pas plus rapide et efficace pour résumer et comparer des avis. C’est même généralement la première chosechose qu’on cherche à savoir quand on effectue une recherche.

Néanmoins, comment s’y fier alors qu’il n’y a même pas un semblant de standard à respecter ? Il y a beaucoup trop de bonnes notes et d’écarts dans un même référentiel. Une personne note trop dur, l’autre pas assez : l’intérêt des notes est détruit.

En outre, ignorants que nous sommes dans la plupart des domaines (d’un point de vue technique et non péjoratif, cf chapitre 10), nous sommes incapables d’apprécier la juste valeur d’une œuvre. Ajouté à cela l’influence du BEVBEV sur la perception des qualités (cf chapitre 9) et dans les cas extrêmes (mais pas rares) cela à pour conséquence une notation de façon binaire : j’aime / j’aime pas, et donc des notes concentrées autour des deux pôles (sur 20, des notes proches de 0 et proches de 20). L’utilité de telles notes pour « renseigner » les autres (et servir pour la comparaison) devient fortement discutable. Et ce n’est là que le problème le moins vicieux de signification et de communication à travers les notes.

La relativitérelativité, un problème pour la signification globale

Globalement, il y a deux manières de noter une œuvre. Soit par rapport à tout ce qui a été fait et ce qu’on peut imaginer (passé, présent, futur = dans l’absolu), soit par rapport au contexte actuel (présent).

Hélas, j’ai envie de dire, la plupart des notes sont attribuées par rapport au contexte actuel. Pour leur défense, en admettant que le progrès est perpétuel et que les chosechoses perdent de la valeur dans le temps, on ne peut noter de manière objective à l’aide d’une échelle limitée (~ 0 à 20), même en étant strict et rigoureux. On peut aussi se demander si on a la capacité de pouvoir estimer la valeur objective, « intemporelle » d’une chosechose. On peut d’ailleurs se demander si une chosechose peut et doit être jugée indépendamment de son contexte temporel.

L’approche n’est pas évidente.

Par exemple, dans l’approche absolue, mettre un 19/20 signifie que l’œuvre est superbe, mais signifie également qu’il ne reste plus qu’un point de marge pour faire mieux. Ce qui est assez léger, car après la limite du dénominateur qui représente la perfection, on ne peut plus ajouter de point. On imagine donc que cette œuvre était à 1 point sur 20 de la perfection. Mais peut-on imaginer la perfection sans en avoir fait l’expérience ? Par exemple, si une suite à cette œuvre voit le jour, et que celle-ci apporte beaucoup d’améliorations considérables, on n’aura plus qu’un seul point de disponible pour marquer la progression effectuée par rapport au premier opus… et cette seconde œuvre aura alors 20/20.

Rétrospectivement, il aurait par conséquent été plus judicieux d’appliquer une note plus basse au premier opus. Ce qui ne voudrait pas dire pour autant que l’œuvre est moins bonne : la relativitérelativité nous a montré qu’un 15/20 dans un ensemble où la moyenne est de 12/20 a beaucoup plus de valeur qu’un 19/20 dans un ensemble où la moyenne est de 19/20. Cela ne revient donc pas à être « pessimiste » quand à ce qui est proposé actuellement, car dans ce cas attribuer un 20/20 ne reviendrait-il pas aussi à être pessimiste en admettant qu’on ne peut pas espérer meilleure œuvre dans le futur ? Comme évoqué plus haut, il ne s’agit ni d’une dictée ni d’un devoir de maths : ici la note sert à comparer par rapport à ce qui s’est déjà fait. Quoi qu’il en soit, la notation absolue semble vouée à montrer ses limites sur le long terme.

Cela dit la seconde approche, la notation « sur le moment », n’est pas moins limitée ; notamment car elle incite à mettre des notes trop élevées, et par conséquent entraîne des notes qui « périment »… Le « 19/20 » d’un moment ne vaut pas le « 19/20 » d’un autre. De telles notes, qu’elles soient « marketing » ou simplement immodérées, ne font qu’entraîner la confusion chez le lecteur.

En termes de confusion, citons par exemple le cas des critiques qui, sans prévenir, prennent en compte les antécédents de l’œuvre : « Cette œuvre est excellente mais la recette est la même que celle de l’opus précédent, et pour cette raison je retire 2 points ». C’est assez traître si on ne se fie qu’aux notes. Et si on répète ce schéma à chaque fois, on peut finir par arriver à un score très bas pour quelque chosechose de très bon, de quoi refroidir le nouveau venu. Dans la même veine, il y a le cas de la suite, meilleure que l’original, mais qui n’apporte pas grand chosechose ; le critique lui colle une note inférieure au premier car il trouve que c’est « se reposer sur ses lauriers », il pénalise le manque d’innovation. Admettons, mais encore une fois lorsque le premier venu qui n’y connaît absolument rien va comparer les deux notes, il va prendre le premier car il est mieux noté, donc logiquement meilleur. Et pourtant ce n’est pas le cas. La possibilité de comparaison sur le long terme étant annihilée, on peut donc légitimement se demander l’intérêt d’utiliser une note mathématique lorsqu’on utilise ce type d’approche.

Le problème fondamental étant qu’en elle même, une note ne veut paradoxalement rien dire de précis, elle ne s’explique pas d’elle même et laisse libre à court à des problèmes d’interprétationinterprétation (cf qualia, fin chapitre 2) : mêmes notes pour des raisons différentes, différentes notes pour les même raisons… Une note ne veut pas dire pourquoi.

L’aspect pratique de la note justifie-il son utilisation malgré toutes ses limites, notamment en termes de cohérence, de fiabilité et de signification ?



Du précis avec de l’imprécis : la fixation des idées

Voilà, en gros je pestais contre la tendance des gens à utiliser des concepts rationnels (notes) de manière (totalement) irrationnelle.

Je pense que dans une moindre mesure, ce « problème » se retrouve également dans la médecine occidentale. Elle est très rationnelle, très scientifique, elle se base beaucoup sur la chimie. En ce sens il est logique que l’on se retrouve avec des traitements comprenant des doses précises à prendre à des moments précis. Seulement, il s’avère que ces doses sont prescrites un peu « au pif » et peuvent varier grandement d’un médecin à l’autre.

Je ne comprenais pas l’intérêt de se baser sur du précis si c’est pour au final en faire un usage imprécis. Mais disons que depuis, je crois avoir compris pourquoi il en était ainsi et pas autrement.

En fait il s’avère que nous somme des êtres beaucoup plus influençables que ce que l’on pourrait croire. L’ensemble de la réalité telle qu’on la voit est un complexe placebo/nocebo. C’est à dire que pour chaque chosechose nous entretenons une croyance, et que chacune de ces croyances influe sur le déroulement de nos mécanismes et processus internes (régénération, apaisement, peur, stress, digestion, …). Dans notre société, si on voit un médecin se pointer en blouse blanche pour s’occuper de nous, l’effet sur notre esprit, le sentiment de confiance sera similaire à ce que ferait l’arrivée d’un grand sorcier venant exorciser un malade dans une société différente. Le sorcier n’a pas de pouvoir réel. Par exemple si un sorcier venait nous soigner avec une incantation ou encore nous jeter une malédiction, on lui rirait au nez et son pouvoir n’aurait aucun effet. Dans notre société on ne croit tout simplement pas à ce genre de chosechoses. Par contre dans la société d’où il provient, ce sorcier dispose d’un pouvoir incroyable. Tout simplement car là bas, les gens croient dur comme fer en son pouvoir. Si le sorcier est appelé pour exorciser un malade, et que grâce à une « supercherie » il en vient à retirer de la bouche du malade un cœur d’oiseau qu’il aura subrepticement introduit au préalable, l’effet sera grand. Et si en plus de ça il brandit ce cœur comme le mal vaincu pour finalement l’écraser d’un coup sec en serrant le poing en l’air et en criant victoire, l’effet sera transcendant. Le malade sera convaincu d’être soigné et « magie », il va mieux se porter et récupérer. Dans le sens inverse, des individus peuvent suffoquer et aller jusqu’à mourir convaincu d’être condamnés par une malédiction. En fait comme toute chosechose, le sorcier dispose d’un pouvoir logique relatif, dont l’influence ne dépend que des chosechoses sur lequel ce pouvoir est appliqué. Cette relation, c’est la croyance au sein d’une cohérence.

Ici c’est pareil, pour la plupart des gens malades, le simple fait d’avoir une palanquée de médicaments aux noms scientifiques imprononçables leurs donnent la sensation d’avoir les armes sophistiquées nécessaires pour vaincre leur mal. Au delà de toute vertu thérapeutique réelle, la médecine qui nous convient est donc avant tout celle à laquelle on est prompt à croire.

À partir du moment où nous croyances sont établies, on ne commande plus les placebos ou nocebos qu’elles entraînent, cela devient un comportement naturel et automatique. Par exemple, si on va automatiquement vers son conjoint pour l’embrasser plutôt que vers une autre personne, c’est parce que l’on croit profondément que c’est notre conjoint.

Cette tendance à noter à tort et à travers ne fait que révéler l’un des moteurs de l’humanitéhumanité, l’ignorance (voir chapitre TODO). TODO élitistes, gdc, (bruce lee) Pas fait pour savoir mais pour mystifier, démystifier, etc. TODO parler du piège du rationalisme : élitistes, gdc, (bruce lee). Se pensent dans des critères soit-disant objectifs mais s’isolent dans une vision mal déformée.

Si vous avez lu la réflexion en début de chapitre, vous vous demandez peut être le rapport avec les notes dans le domaine de la critique d’œuvres ? Et bien je pense que les gens ne mettent pas des notes aux chosechoses (en dépit des limites de ce système) uniquement pour leur aspect pratique. L’utilisation d’un tel système témoigne de notre fonctionnement. Dans l’absolu, on ne pourra jamais savoir ce qu’est la perfection (le 20/20) et donc à quel point on s’en rapproche. Mais plutôt que de se priver d’utiliser des critères rationnels quand on est techniquement incapable de le faire, on fait comme si on savait. On décide nous mêmes de « la valeur absolue » des chosechoses, on crée notre propre absolu et on s’y tient. Et l’ignorance devient alors un moteur : on croit ce que l’on veut, on mythifie, on démythifie, on encense, on vilipende, on érige des symboles, on définit des codes à suivre ou à ne pas suivre… Le fait d’attribuer des 20/20 et des 0/20 permet tout simplement à l’esprit d’y croire et de renforcer la croyance, c’est à dire le lien qui confère le pouvoir à la chosechose, et ce en dépit de tout ce que la chosechose en question pourrait vraiment être (ou ne pas être). C’est un renforcement symbolique dans la croyance qui n’est au final pas bien différent de la pratique d’un culte religieux (un peu comme les vieilles dames du coin qui vont à la messe renforcer leur croyance en Dieu).

« Je suis content j’ai fait une super affaire grâce à ce vendeur ! »

Croire et voir sont deux chosechoses étroitement liées, on pourrait même aller jusqu’à dire que croire, c’est voir (comme le montre les illusions) : par exemple, on ne voit le mal que si l’on croit qu’il existe. Si on croit que le mal est partout (~ théorie du complot) alors effectivement le moindre mal sera vu et relevé par notre esprit. Et ce système fonctionne dans la dualitédualité : quelqu’un aura beau être une « belle enflure », si on ne le voit pas comme cela (~ image de la personne), on ne le croira pas ainsi (voir chapitre 2). De la même manière, on ne se fait pas réellement avoir ou arnaquer tant qu’on ne le remarque pas (heureusement, comment ferait les politiques sinon ?), vive les fausses promotions sur les produits ! Également, sur la route, il n’est pas rare qu’un automobiliste en double un autre pour se ranger aussitôt : dans l’absolu le « doubleur » n’a quasiment rien « gagné » mais le fait de croire et d’avoir l’impression de gagner suffit à le satisfaire et à justifier son acte. D’ailleurs, toujours dans le domaine de l’automobile, il est amusant de voir qu’on a l’impression d’aller à 200 km/h dans une vieille bagnole qui tremble et qui fait un bruit monstre à 100 km/h tandis qu’on a l’impression d’être à 100 km/h dans une nouvelle voiture très silencieuse qui roule pourtant à 200 km/h (ce qui incite pas mal à appuyer sur le champignon d’ailleurs…). Dans le monde du travail informatique, je me suis rendu compte que la plupart n’étaient pas intéressés par le plan technique (et n’étaient franchement pas des lumières dans ce domaine) mais s’épanouissaient quand même dans leur travail grâce à l’aspect social et la sensation d’être à l’aise et d’avoir un rôle adéquat et utile (conscienceconscience tranquille). On peut dire que ces gens roulent effectivement à 50 km/h, mais avec tout le bruit qu’ils font ont l’impression de rouler à 130. C’est le ressenti qui est important. Pour avoir un ressenti réel, il faut que ce ressenti soit cohérent avec notre réalité.

[TODO DELETE] Je m’amuse à tricher avec ce phénomène en regardant quelqu’un que je soupçonne de mentir dans les yeux et en lui disant « Si tu mens tu vas le regretter, sinon tu n’as aucun soucis à te faire » ; si la personne ment elle aura tendance à ressentir cette phrase bien plus négativement que si elle ne ment pas.

Dans le cas d’un système de notation sur cinq étoiles, hésiter entre deux étoiles ou trois étoiles c’est hésiter à nuire à son avis, c’est hésiter à affaiblir sa croyance. En effet, si on commence à chercher des raisons pour rabaisser quelque chosechose, on en trouvera toujours. C’est pour cela qu’un moment donné il faut arrêter de réfléchir et prendre les chosechoses comme elles viennent.

Il faut se laisser berner, se complaire. Il faut être la cause et non simplement l’effet (la réaction). C’est d’ailleurs sur ce seul principe que repose la « magie » ou encore le catch : les gens apprécient le spectacle en se laissant berner. Quel intérêt de regarder un film si on ne se laisse pas imprégner dans l’histoire, si on n’a de cesse de se dire « C’est un faux décor, ce sont des acteurs, il y a une caméra devant eux ».

De la même manière parfois j’hésite à dire « Bonjour » ou « Bonjour ! » dans mes mails. Encore une fois, il faut se donner la permission, il faut être la cause et non la réaction.



L’intentionintention

Pour se laisser aller, il faut en avoir l’intentionintention. Techniquement, l’intentionintention c’est la capacité de l’esprit à diriger l’attention et de déterminer le post-traitement, les procédures qui vont être utilisées pour traiter les signaux reçus par nos capteurs sensoriels (plus de détails dans l’acte III). Lorsque nous exerçons une activité, nous activons plus ou moins nos deux hémisphères cérébraux en fonction de l’intentionintention que nous avons. Généralement l’hémisphère gauche est associé à l’analyse du détail, la vision technique, l’abstractionabstraction isolanteabstractionabstraction isolante alors que l’hémisphère droit est associé à l’analyse globale, la vision artistique, l’abstractionabstraction aggloméranteabstractionabstraction agglomérante. Néanmoins, la dualitédualité fait que leurs rôles peuvent être inversés lors de certaines activités.

Pour illustrer ce phénomène, prenons le cas de l’écoute d’une musique. Il y a quatre manières de procéder :

  • écouter une musique au hasard parce qu’elle est là, écouter sans vraiment s’en rendre compte (~ entendre plutôt qu’écouter)

  • écouter une musique pour sa mélodie, les sensations qu’elle procure, sans rien y comprendre aux paroles et aux arrangements musicaux

  • écouter une musique pour comprendre les paroles, s’attarder sur les détails de chaque instrument

  • écouter une musique en faisant un peu des deux cas précédents



Voilà les quatre manières types d’appréhender une chosechose et par extension d’appréhender le monde. Chacun d’entre nous montre une utilisation différente des ressources (rien, droite, gauche, un peu des deux) vis à vis des chosechoses, entraînant une perception différente du monde. Par nature, nous avons tendance à être dans les deux premiers cas (inattention ou abstractionabstraction aggloméranteabstractionabstraction agglomérante ~ sensations globales), une tendance à se laisser aller, à essayer de profiter et ne pas trop se casser la tête à comprendre. Lorsqu’on entre dans le troisième cas, on est plus du côté des spécialistes du domaine de la chosechose, des personnes ayant le soucis du détail, des « pinailleurs ». Le quatrième cas relève plus d’un attitude zen, caractéristique des arts martiaux, du yoga, taï-chi, etc. On s’attarde alors sur les sensations du détail, en exerçant un effet de balancier entre la concentration et la relaxation. Cette voie de la sagesse est généralement typique de personnes assez âgées, qui ont une assez grande expérience de la vie et savent différencier ce qui est réellement important de ce qui ne l’est pas.



L’influence de l’intentionintention sur le post-traitement des données est assez remarquable au niveau de la mémoire. Par exemple, je n’ai jamais retenu mon numéro de téléphone portable car je n’ai jamais eu l’intentionintention de le retenir. À chaque fois qu’on me le demande, je consulte mon téléphone justement, afin de le lire sans le retenir (je retiens donc l’endroit où le trouver dans le monde réel). Pourtant c’est une courte séquence de chiffres et si j’étais obligé de le retenir je le ferais sans problème (comme je le fais pour le code PIN du téléphone ou pour un mot de passe informatique par exemple). Mais non, même après des années, si l’intentionintention n’y est pas alors ça ne « rentrera » pas tout seul. Les intentionintentions modulent notre apprentissage.



Biais d’appréciationappréciation par la mémoire

En parlant de mémoire, l’intentionintention n’est pas la seule à altérer notre perception. En effet, comme induit quelques paragraphes plus haut, les croyances que l’on entretient vis à vis d’une chosechose peuvent totalement biaiser l’appréciationappréciation qu’on a de celle-ci. Les croyances étant stockées dans la mémoire, on peut distinguer deux phénomènes mémoriels qui viennent désobjectiver notre jugement, notre appréciationappréciation. L’un se déclare principalement avant mais aussi après avoir eu la première expérience avec la chosechose jugée, tandis que l’autre ne se présente qu’après. Je rappelle qu’une chosechose peut être aussi bien matérielle qu’immatérielle. Un film, un événement, un homme, une femme, une idée…

« Je ne m’attendais pas à ça » – Les discordancediscordances

Vrai fléau de l’imagination, le premier phénomène se manifeste lorsqu’on entretient des attentes inappropriées : on s’attendait à quelque chosechose et on nous en donne une autre. L’objet que l’on nous donne a beau être de bonne qualité, le simple fait que ce ne soit pas ce qu’on attendait va jouer en sa défaveur (ou tout du moins créer un effet de surprise). Il s’agit alors d’une discordancediscordance de fond, d’un problème de direction.

Je ne vais pas rentrer dans les détails car c’est là le sujet de l’acte III, mais en gros, au niveau logique, l’esprit va créer une chosechose virtuelle placée sous l’intuition d’une chosechose réelle. C’est à dire que lorsqu’on pense à ce qui va arriver on pense à quelque chosechose qui n’existe pas et qui n’existera pas, quelque chosechose qui n’est pas ce qui va réellement arriver. L’esprit va donc préparer la mauvaise case dans sa mémoire. C’est un peu comme si un couple qui va bientôt avoir un enfant se prépare à l’arrivée d’une petite fille (chambre rose, etc) et que finalement c’est un petit garçon qui se pointe à l’arrivée.

Si cela vous arrive souvent, j’espère pour vous que vous êtes dans un métier de la création, qui laisse libre cours à votre imagination. En effet, si vous êtes capable de créer des chosechoses virtuelles, autant leur donner une existence réelle.

La discordancediscordance de fond est quasiment inévitable lors du visionnage d’une adaptationadaptation cinématographique (ou tout simplement visuelle) d’un livre qu’on a déjà lu auparavant. Lors de la lecture du livre, notre esprit crée diverses représentations mentales (des lieux, des personnages, etc) à partir des informations fournies par l’auteur. Ces représentations sont souvent bien éloignées de celles présentées dans le film, et de là se crée un malaise vis à vis de ce dernier.

Cela fonctionne également avec toute description orale (entraînant la création d’une représentation) suivie d’une confrontation avec la réalité (description d’une photo puis vision de celle-ci).

Dans le cas de la discordancediscordance de fond, le sujet a une image grossière et peu détaillée de la chosechose qui va arriver. Le soucis principal se trouve alors dans la nature de la chosechose attendue. Mais quand bien même la nature de la chosechose attendue correspond à la nature de la chosechose obtenue, le phénomène de discordancediscordance peut toujours se produire si on entretient une image précise de la chosechose attendue (et de ses effets présumés sur notre personne). Il s’agit alors d’une discordancediscordance de forme, d’un problème de spécificité. Dans ces cas là, on en attend souvent beaucoup de la chosechose (~ objectif), notamment en terme d’intensité. On espère quelque chosechose de super et finalement on a quelque chosechose de juste bon. Notre appréciationappréciation va alors être plutôt mauvaise à cause de cette désillusion (~ déception). Cela peut même arriver avec quelque chosechose d’effectivement super mais qu’on attendait comme la seconde venue de Jésus Christ. Et tour de passe passe classique de la dualitédualité, les optimistes risquent d’être déçu alors que les pessimistes ont plus de chance d’être agréablement surpris. C’est un peu l’effet « pétard mouillé ». D’ailleurs je parlais de catch tout à l’heure, et je me rappelle la première fois que j’ai découvert ce type de « spectacle » à la télévision. Alors que les catcheurs paradaient sur le ring avant de démarrer, je me disais « Oh la vache les bestiaux, ça va être brutal ! ». J’ai donc créé une discordancediscordance de fond car je m’attendais à un vrai combat, pas à du théâtre. Puis lorsque le combat a finalement commencé, j’ai été stupéfait (O_o) par la mollesse et la faible qualité de la performance, ce n’était tout simplement pas crédible (« Ils sont sérieux là ? »). J’ai donc également créé une discordancediscordance de forme car je m’attendais à quelque chosechose de bien plus intense et spectaculaire, que ce soit du théâtre ou pas.

Dans la discordancediscordance de forme, le « déficit » d’appréciationappréciation n’est pas tant la faute de la chosechose obtenue que du juge (sujet). En effet, si le sujet ne peut physiquement fournir un niveau d’appréciationappréciation particulier (~ hormones) et que son attente se situe au delà de ce niveau, la chosechose n’y pourra rien, aussi incroyable soit-elle.

La discordancediscordance de forme montre très bien le principe de relativitérelativité : des différences minimes peuvent avoir un fort impact.

La discordancediscordance de forme est en quelque sorte un problème d’attention : on regarde trop haut, pas au bon endroit (et donc on ne voit rien et on rate ce qui se passe plus bas).


De par ce phénomène, on peut affirmer que la définition technique d’une vraie surprise c’est la création de « la case » représentant une chosechose dans notre mémoire au moment où on découvre cette chosechose (ce qui empêche tout a priori et donc toute discordancediscordance, même mineure).

 

Une fois la première expérience effectuée on sait à quoi s’attendre, et en ce sens le problème des attentes inappropriées n’est plus de mise. Néanmoins le problème de la discordancediscordance ne disparaît pas pour autant, car si la chosechose jugée ne change pas avec le temps, ce n’est pas le cas du juge, c’est à dire de ce que nous sommes. L’image que nous avons d’une chosechose peut être en décalage avec notre perception actuelle. On croit ainsi savoir à quoi s’attendre et pourtant on se retrouve stupéfait de la « réalité ». Il s’agit alors de discordancediscordance temporelle, qui a été plus amplement décrite dans le chapitre 10.

Familiarisation et nostalgie

Enfin, il existe un autre phénomène nous empêchant d’apprécier objectivement après la première expérience. Heureusement, dans ce cas, il joue plutôt en la faveur de l’objet jugé. Il s’agit de l’émotion due à l’attachement et aux « retrouvailles » après éloignement (dans les cas intenses on parle de nostalgie). La différence principale de l’appréciationappréciation avant et après est du à l’effet de « familiarisation ». Par exemple, lorsqu’un enfant rentre dans une nouvelle classe, il ne connaît personne et ne peut donc juger ses camarades que sur leur apparence, et peut être leur nom. Il est dans un contexte inconnu. Il en est de même pour l’individu qui regarde le premier épisode d’une longue série télévisée, il appréhendera les personnages d’une manière bien différente de quelqu’un qui connaît bien la série car il ne sait pas encore comment approcher ces personnages. D’un point de vue du chapitre 9, il n’y a pas encore de valeur ancrée dans ces chosechoses, valeurs qui permettront par la suite de les « préjuger ». Généralement, quand on voit les personnes qui vont devenir nos amis pour la première fois, ils n’ont pas l’air de nos amis (du moins pas plus que d’autres), on ne s’imagine vraiment pas ce qu’ils vont devenir.

En outre, la valeur de ce qui est rattaché à une chosechose a également une influence sur l’appréciationappréciation de celle-ci. En fait, il nous est bien difficile de voir les chosechoses pour ce qu’elles sont et non pour ce qu’elles représentent ; l’appréciationappréciation de chaque chosechose est affectée par tout ce qui lui est lié dans notre référentiel. Par exemple si je vous dis mathématiques, vous penserez également – de manière plus ou moins consciente – à tout ce que vous rattachez à ce mot en plus de celui-ci : difficultés, professeurs, dégoût, ou encore facilités, chiffres, théorèmes, fascination, etc. Si vous vous concentrez sur une idée (ex : mathématiques) vous pourrez toutefois être capable de l’abstraire de ses liens. Mais à l’état naturel, lorsqu’on juge une chosechose, on ne peut s’empêcher d’être influencé par ses antécédents (actes, relations, etc). Et généralement, plus on en connaît sur une chosechose, plus on est à l’aise avec celle ci (ce qui explique pourquoi au tout début de l’année, l’écolier préfère souvent sa classe de l’année dernière). Mais je vais m’arrêter là en ce qui concerne la mémoire, j’y reviendrais de manière bien plus poussée dans l’acte III.

« Tu te fais du mal tout seul »

Ce qu’il faut retenir c’est qu’entretenir des attentes peut être dangereux. En lâchant prise, en ne faisant pas de calcul, en n’attendant rien d’une chosechose précise, en vivant l’instant présent, on ne peut qu’être surpris. Tout calculer c’est bien, mais seulement lorsque ces calculs ont une influence (et une influence positive qui plus est). Il vaut mieux essayer de voir les chosechoses avec l’œil de l’ignorant car la dualitédualité fait qu’imaginer mieux, c’est rabaisser l’existant (« Le mieux est l’ennemi du bien »). Les critiques acerbes de cinéma n’ont pas autant de plaisir à regarder les films que le premier venu qui vient pour se détendre.

S’évertuer à rester rationnel c’est se forcer à voir le monde tel qu’il est vraiment alors que celui-ci a fait tant d’efforts pour le cacher grâce à une magnifique illusion (cf niveau humain). C’est essayer de trouver l’astuce du magicien plutôt que de profiter de son spectacle.

(Mais bon, il est paradoxal de constater qu’en même temps, le laisser-aller est aussi à la base de nos plus gros problèmes. En fait, on fait également trop abstractionabstraction de certaines chosechoses, on vit trop dans une illusion ; show télé VS faim dans le monde, cf chapitre humanité).

L’intentionintention et les croyances ne sont donc pas que des chosechoses restant confinées dans notre tête, sans conséquences, ni même une simple affaire de « morale personnelle » ; c’est bien plus que ça, et nous allons essayer de voir pourquoi dans le chapitre suivant.

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