FREN

Soulever les paupières invisibles

Un essai sur la logique du monde et de l'esprit
SOMMAIRE

Soulever les paupières invisibles

Un essai sur la logique du monde et de l'esprit

Chapitre 17

Le système de mémoire à long terme

Connaissances, souvenirs, savoir-faire : des représentations au rôle spécifique, unies pour traiter le passé et se développer.

 

La mémoire à long terme (MLTMLT) représente ce à quoi la plupart des gens pensent quand on leur parle de mémoire : souvenirs, connaissances, etc.

C’est une mémoire gigantesque dont les unités sont reliées les unes avec les autres en fonction de leur rapport : l’association est le fondement de cette mémoire. C’est ainsi que l’accès aux données se fait de manière « intentionintentionnelle » (cible) et associative (radiation) ; si vous vous demandez comment vous en êtes arrivé à penser à l’idée à laquelle vous pensez actuellement, c’est probablement par association (« de fil en aiguille »). C’est ce qui d’ailleurs, du fait de la faible capacité de la mémoire à court terme, explique notre tendance à divaguer et oublier de revenir d’où nous sommes partis.

Sur un ordinateur elle peut être assimilée au stockage de masse (disque dur, SSD), même si son architecture s’apparente beaucoup plus à un gigantesque réseau maillé comme l’est Internet qu’à une « boîte à tiroirs » (j’élaborais davantage cet aspect dans le chapitre suivant).

On distingue trois types de données stockées dans cette mémoire durable : connaissances, souvenirs et savoir-faire.

 

À propos du « long terme »

À noter que l’appellation historique de « mémoire à long terme » n’est pas forcément idéale, et peut prêter à confusion. En effet, la plupart des données qui parviennent dans cette mémoire à long terme ne serviront que très peu de temps et seront vite oubliées. Le qualificatif « long terme » indique juste que les données peuvent potentiellement y rester très longtemps. Mais dans la pratique, c’est comme sur le disque dur d’un ordinateur : il y a beaucoup d’informations temporaires. Quand on demande à une personne de répéter des chosechoses qu’on vient de lui exposer à l’oral il y a une minute, c’est principalement sa mémoire à long terme qui sera mise à l’épreuve, et non sa mémoire à court terme.

Il eut été plus avisé, je pense, de parler de mémoire dure, de mémoire durable ou encore de mémoire principale. Mais bon, la référence au temps, plus intuitive, à quand même son intérêt.

 

On distingue trois types de données stockées dans cette mémoire durable :

 

Les intuitions (connaissances, mémoire sémantique) :

Une intuition est un ensemble d’informations unies pouvant être la représentation mentale d’une chosechose (matérielle ou immatérielle). C’est une idée qu’on a, une idée pas forcément explicite mais qui est « évidente » et qui nous semble « vraie ».

Ces idées ce sont le résultat de l’activation simultanée d’un ensemble de neurones formant un « pattern » spécifique (chacun des neurones représentant une partie de l’information).

À terme, les intuitions forment ce que nous appelons connaissances ou culture générale, etconstituent notre base de données, notre encyclopédie interne sur toute chosechose de notre monde. Si je vous dis de penser à un chat, ce qui va vous venir à l’esprit c’est l’intuition que vous avez (ou aurez…) de ce qu’est un chat. Cela vaut pour toutes sortes de chosechoses : entité, son, odeur, émotion, symbole, relation

Les algorithmes de récupération sont similaires à ceux vu en informatique, càd fonctionnent à partir d’un indice (~ « mot clé »).

Personnellement j’ai une vision beaucoup plus large de ce type de mémoire que ne l’ont les modèles « classiques » que j’ai pu étudier. C’est d’ailleurs pour cela que j’insiste sur la dénomination d’intuition comme unité (~ rasoir d’Ockham) et non « connaissance » ou encore « concept »*. Car selon moi, on ne connaît pas bien la plupart des chosechoses que l’on a en mémoire ; à vrai dire,je pense qu’on les connaît tellement peu qu’on n’a même pas l’impression de les connaître (ce qui est somme toute logique finalement). Seule une petite partie des représentations enregistrées sont assez claires, et disposent souvent d’un mot permettant de les qualifier (j‘estime qu’il est alors légitime de parler de « concepts » pour ce genre d’intuitions). Pour tout le reste, souvent des chosechoses auxquelles on a peu été exposé, c’est très flou et peu exploitable explicitement(on peut alors parler de sentiment de familiarité vis à vis des chosechoses représentées, d’amorces ou encore de trace mnésique). La raison de cette différence, c’est que les intuitions ne sont pas fixes : elles se construisent et s’enrichissent avec le temps. Toute intuition commence donc floue (à peine distinguable), puis au fur et à mesure de l’expérience, de plus en plus d’informations y est rattachée.

Chaque intuition se situe à un niveau de conscienceconscience. Les intuitions de bas niveaubas niveau se rapprochent du monde physique, du « mesurable », tandis que les intuitions de haut niveauhaut niveau font abstractionabstraction du monde physique (idées, concepts, etc). Cela dit, les intuitions de haut niveauhaut niveau pourraient avoir la même base que les intuitions de bas niveaubas niveau, et donc reposer sur une expression et un usage particulier des systèmes de représentations « sensoriels » (~ cognition incarnée). Par exemple, je pense que les activations somatiques (stockés notamment grâce aux marqueurs somatiques) font partie intégrante du sens des intuitions. Pour plus d’éclaircissement je vous invite à relire le premier chapitre de cet essai, traitant du principe d’abstractionabstraction.

Note * : de par cet aspect le modèle que j’imagine se rapproche du modèle à traces multiples proposé par Versace, Padovan et Nevers, notamment dans les aspects perceptifs qui seront traités dans le chapitre 19.

De la pertinence du terme intuition

Le terme intuition peut paraître inadapté pour qualifier les représentations que nous avons en mémoire. En effet, dans l’usage courant, on parle d’intuition quand quelque chosechose nous apparaît subitement à l’esprit sans qu’on ne puisse la comprendre et l’expliquer rationnellement. C’est alors presque un sentiment, et cela ne représente donc pas grand chosechose (explicitement).

Mais je pense qu’il s’agit en fait de cas particuliers d’intuitions (bien que beaucoup plus courant qu’on ne pourrait le croire ; par exemple la simple appréciation d’une chosechose est souvent intuitive, c’est après coup que l’on rationalise cette appréciation).

Tout d’abord, je ne pense pas que les intuitions apparaissent réellement subitement et sortent de « nul part » : elles sont simplement les résultats visibles (~ les conclusions) de processus inconscientinconscients. Les inférences dont elles sont issues ne sont pas conscientes, mais elles existent quand même.

Ensuite, je pense que le caractère soudain est une affaire de relativité. En fait je pense que la plupart des chosechoses auxquelles on pense nous arrivent subitement, mais comme elles apparaissent de proche en proche (de façon liée avec ce à quoi on pensait précédemment), on les « voit venir » et donc on n’est pas surpris d’avoir ces pensées. C‘est une suite logique qui se dessine petit à petit ; c’est d’ailleurs ce qui nous donne l’illusion de les créer consciemment par la simple raison.



Intuitions, conscienceconscience et inconscientinconscient

Je pense que l’intuition est la structure de donnée de base (et à la base) de la conscienceconscience ; c’est à partir du moment où l’on a une intuition active que l’on « prend conscienceconscience », que tout s’éclaire, que le sens nous apparaît.

Telles quelles, les informations composant les intuitions ne sont pas suffisantes pour faire sens, car il s’agit de matière brute et inconscientinconsciente, que l’on accumule (inconsciemment) par le simple fait de vivre. Elles ne sont pas forcément pertinentes non plus d’un point de vue conscient. Il faut les sélectionner, les lier et en faire une synthèse pour avoir des représentations de haut niveau. (Parfois elles sont tellement synthétiques qu’elles s’apparentent à un sentiment : l’intuition de ne plus avoir faim, l’envie de faire quelque chosechose, la décision rapide face à un choix parmi plusieurs options).

Malgré tout, je pense qu’elles restent d’intérêt purement conscient, c’est à dire que l’inconscientinconscient n’en a pas besoin pour fonctionner, même si c’est lui qui les construit et les révèle à la conscienceconscience (cf cognition inconscientinconsciente, révélations, chapitre 18).

On peut se demander si linconscientinconscient a accès et utilise le sens de haut niveauhaut niveau pour exploiter les informations (~ à savoir si le subconscientsubconscient existe vraiment, cf révélation par abductionabduction), ou s’il n’utilise que des traitements de bas niveaubas niveau, même pour traiter le sens « humain » des chosechoses.L’inconscientinconscient n’a probablement pas besoin d’intégrer les informations pour les exploiter, il n’a pas besoin de « savoir ce qui se passe » pour agir, contrairement à la conscienceconscience. Toujours est-il que ce questionnement pourrait mettre en évidence le rôle évolutif de la conscienceconscience : elle pourrait permettre des chosechoses que l’inconscientinconscient seul ne pourrait pas faire.En ce sens, la conscienceconscience serait une extension de l’inconscientinconscient, les deux étant alors interdépendants l’un de l’autre. Pour en savoir plus, il faudrait essayer de déterminer à quel point des expériences proches de la conscienceconscience (pensées complexes, rêves) peuvent subvenir sans aucune révélation consciente.

Support de stockage

Je pense que ce qui reste réellement en mémoire, ce n’est pas tant l’intuition que les informations brutes à la base de cette intuition. En effet, quand on pense à un chat on ne pense pas toujours exactement à la même chosechose (~ au même chat). Les intuitions sont des construits, qui se créent sur le moment, à la demande : l’inconscientinconscient sélectionne et prend des données à l’intérieur et à l’extérieur (abstractionabstractions isolantes) et à partir de là reconstruit une intuition (abstractionabstraction agglomérante). Toutefois je pense quand même que les abstractionabstractions laissent une trace mnésique particulière, et que de toute manière la matière brute doit être naturellement organisée de manière cohérente.

La capture d’intuitions

Selon moi les intuitions sont toujours des abstractionabstractions, c’est à dire un parcage d’information assez flexible qui peut varier d’un individu à l’autre (chacun les construisant de son côté à partir de différentes données). Par exemple, l’intuition que j’ai d’un chat n’est pas exactement la même que celle qu’une autre personne peut avoir, mais elles sont toutes les deux relativement bien ciblées et suffisamment ressemblantes pour être « valides » et permettre la communication (et surtout, elles représentent effectivement la même chosechose réelle, la même information). C’est un peu comme lorsque nousécoutons quelqu’un qui parle avec un accent, ou quelqu’un qui écrit les lettres (signes alphabétiques) différemment de nous : nous le comprenons très vite et nous synchronisons aisément les signaux externes à nos intuitions internes (à l’aide d’un « pattern » de conversion si nécessaire). Les intuitions sont donc définies par une bordure assez flexible, et en ce sens, l’apprentissage d’une intuition spécifique consiste à créer cette bordure, à « capturer les données pertinentes alors qu’elles baignent dans un bain d’informations » (~ intuitions potentielles) (e.g. :

une personne vous explique quelque chosechose et au travers des informations qu’elle vous donne vous parvenez à « dessiner le contour » de l’intuition de cette chosechose et ainsi la « saisir » ;

vous réfléchissez sur un mécanisme, un algorithme, etc, et petit à petit vous vous repérez dans le bain d’informations qui bouillonne dans votre tête, vous commencez à cibler, à créer un contour jusqu’à être capable d’identifier précisément l’intuition qu’il vous faut…).

En anglais on utilise beaucoup l’expression « nailed it » qui littéralement veut dire « je l’ai clouée » : l’intuition est mouvante, on la suit du regard et « BANG », on la cloue. En français on utilise plus le mot saisir, mais on utilise également l’expression « commencer à cerner » quelque chosechose (qui fait écho au contour), ainsi que l’expression populaire « piger le truc  » (piger venant de piéger = capturer quelque chosechose).

Une organisation informatique

Du fait des multiples associations d’intuitions, je pense que ce sont des structuresreposant sur un paradigme objet similaire à celui de la programmation orienté objet (POO) vu en informatique : un système d’héritage, de composition et d’abstractionabstraction. À savoir par exemple, que le rouge d’une partie d’une chosechose X et le rouge d’une partie d’une chosechose Y partagent au moins un composant identique, et que c’est pour cela que nous les qualifions tous deux de « rouge ». C’est ce paradigme qui nous permettrait par la suite de catégoriser, de raisonner de manière abstraite (sens 2), etc.

Certains troubles cognitifs comme les agnosies catégorielles(~ ne plus pouvoir reconnaître/traiter des chosechoses appartenant à une certaine catégorie : animaux, fruits, etc) vont dans le sens d’une telle organisation.

En psychologie on appelle mémoire sémantique cette capacité d’enregistrer et de lire les intuitions. (Toutefois, je pense que la mémoire épisodique repose également sur les intuitions ; je développerais cette idée un peu plus loin dans le point « Sémantique ou épisodique ? »).



Les historiques de thread (souvenirs, mémoire épisodique) :

Sous ce nom barbare se cache ce que nous appelons souvenirs. C’est ce qui a été tissé dans la mémoire à court terme (voir chapitre précédent). Rencontre de personnes, événements marquants, lieux, etc. Ces structures enregistrent les événements de notre vie. La relecture de ces données nous permet de reconstruire ces souvenirs (« voir une vidéo » du souvenir « dans sa tête »).

Outre l’aspect « vie privée », ils servent également à conserver l’historique des tâches que nous avons effectué. C’est grâce à eux que nous pouvons interrompre une activité et la reprendre plus tard sans difficulté. Par exemple, lire un livre en plusieurs fois, suivre une série (TV, manga, etc), suivre un patient, travailler sur un projet, poursuivre une réflexion… Ils nous permettent tout simplement de ne pas se perdre au cours d’une activité, de savoir où nous en sommes. Ces structures sont très liées à la mémoire de travail.

Historiques de threads et relativité du temps

Il est étonnant de constater que ces structures ne tiennent pas vraiment compte du temps qui s’est écoulé. On peut tout aussi bien se rebrancher sur un thread qui n’a pas été mis à jour depuis 10 ans (retrouvailles d’un ami d’enfance par exemple) que sur un thread que l’on vient tout juste d’interrompre (reprise du travail après un coup de téléphone). C’est d’ailleurs pour cela que le temps nous paraît si relatif. Si nous attendons avec impatience un événement se produisant dans une semaine en y repensant en permanence durant ces 7 petits jours restants (~ très forte anticipation), alors nous aurons l’impression que le temps passe lentement. En revanche si nous entendons parler d’un événement censé se produire dans 3 ans et que durant ces 3 ans nous n’y faisons plus jamais attention, nous n’en entendons plus jamais parler (~ anticipation nulle), alors nous n’allons vraiment pas le voir venir arriver et le prendre en pleine figure ; nous aurons alors vraiment l’impression que le temps est passé très vite, voire qu’il ne s’est rien passé du tout. Je pense notamment aux enfants de la famille que nous ne voyons pas grandir, ou les révisions annuelles (dentiste & co)… Techniquement on peut dire que c’est le nombre de passage d’un thread en principal (~ branchement sur la conscienceconscience & attention) qui définit cette impression de relativité du temps. (Dans l’absolu on a beaucoup de temps, mais d’un point de vue threadique pas tant que ça, il ne faut pas se traîner!)

Pour moi, ce n’est pas tant le maintien des souvenirs qui est impressionnant, mais l’utilisation qu’il en est faite dans le présent. Les threads nous permettent d’abstraire la réalité et de conserver des informations à propos de leur sujet, ce qui est déjà impressionnant. Mais ce que je trouve stupéfiant, c’est la rapidité à laquelle nous passons d’un thread à l’autre, en se resynchronisant quasi-instantanément avec le « sujet » et toutes ses informations. Même sur un thread « endormi » depuis longtemps, l’abstractionabstraction est vraiment forte, et on se rebranche comme si de rien n’était (comme s’il ne s’était rien passé depuis), sans réel effort. Voilà pourquoi au tout début de cet essai, je faisais remarquer que le temps seul ne fait rien à l’affaire : sans action un thread peut rester à la même « position » pendant des années.

En psychologie on appelle mémoire épisodique cette capacité d’enregistrer et de lire l’historique d’un thread. C’est LA mémoire liée au temps (et à l’espace, au contexte). C’est également la mémoire qui implique le plus d’émotion.

Souvenir : Seule mémoire à long terme qu’on ne peut retravailler. À partir du moment où on « modifie » ce n’est plus un souvenir.

Sémantique ou épisodique ? De l’implémentation des souvenirs

Avoir une bonne mémoire épisodique (longévité + détail) est très utile pour l’analyse car elle permet une vision globale des chosechoses (par abstractionabstraction agglomérante notamment). Toute la connaissance n’est pas dans la sémantique, loin de là. Je dirais même que la sémantique est ultérieure à la mémoire épisodique, qu’elle émerge de cette dernière. C’est de la fusion d’éléments issus de la mémoire épisodique (c’est à dire de souvenirs liés à des contextes particuliers, donc différents, mais qui ont quelque chosechose de semblable), qu’un concept naît. Par exemple, une collection de souvenirs d’expériences de plage finissent par faire émerger un concept décontextualisé de la plage (décontextualisé est important car il sous-tend la création d’un prototype abstrait, ici la plage « typique »). La répétition « force » le regroupement, qui constitue une nouvelle « connaissance » identifiable.

Les threads sont d’ailleurs des entités typiquement à la croisée entre l’épisodique et le sémantique, car ils peuvent être poursuivis (threads importants = sémantique des activités).

Ainsi, selon moi, mémoire sémantique et épisodique ne sont pas deux types de mémoires à part : toutes deux reposent sur des intuitions. Je pense que la différence réside seulement dans l’association entres les intuitions, à savoir l’existence de différents types de liens (liens « forts » vs liens « faibles »). Les historiques de threads se réduisent à des circuits particuliers d’intuitions (et non pas aux intuitions en elles-mêmes, c’est à dire, par exemple, que quand on apprend une liste de mots, on apprend pas les mots (on les connaît déjà) mais l’ordre des mots).

TODO : revenir sur ce point, soit ici soit dans le chapitre suivant.



Mémoire épisodique VS mémoire threadique

La mémoire épisodique est aujourd’hui une composante classique de la mémoire en psychologie. Pourtant, elle est assez souvent remise en question. Pour moi, c‘est surtout son principe qui est trop restrictif. En effet, selon la vision épisodique, la mémoire est cloisonnée en épisodes : c’est le temps et l’espace qui définissent la segmentation. Alors que dans l’idée de mémoire threadique, c’est tout le contraire : la segmentation d’un même événement dans le temps et l’espace ne compte plus. C’est justement l’événement, le « thème » qui définit la segmentation. Chaque thème a son « bac ». Par exemple, si on travaille sur un même projet de manière fragmentée dans le temps, on ne va pas séparer les souvenirs de chaque session ; au contraire notre esprit va traiter tout cela comme une continuité.

Pour autant, la mémoire épisodique classique a bien sa place. Mais pour moi elle correspond à la mémoire des détails temporaires et peu importants. Tout ce qui est important et pertinent concerne la mémoire threadique.

 

Les procédures (savoir-faire, automatismes) :

C’est ce que nous appelons savoir-faire. Les procédures nous permettent de retenir des mouvements très précis et de les reproduire avec rigueur et sans effort conscient (marcher, jouer d’un instrument, faire du vélo, écrire sa signature, etc). Toutefois les procédures sont bien plus que cela et sont impliquées dans beaucoup, beaucoup de chosechoses. En fait, tout automatisme, aussi simple soit-il, implique une procédure.

En psychologie on appelle mémoire procédurale cette capacité d’enregistrer et de lire des procédures.

Étant donné qu’il s’agit d’un type de mémoire très particulier, je ne développerais le cas des procédures qu’en fin de chapitre, dans une partie dédiée.



La mémoire principale : quelques spécificités

Mémoire et communication

Nous convertissons le langage (phrases, dialogue) en terme d’intuitions. C’est pour cela que certaines personnes relatent mal les dires d’autres personnes. Elles tirent un dialogue des intuitions qu’elles ont enregistrées et non des intuitions d’où leur interlocuteur à tiré son dialogue d’origine. Il s’agit donc d’une part de bien interpréter techniquement de quoi une personne parle, mais également de faire preuve d’empathie afin de jauger l’émotion qui se cache derrière.

 

Des données privilégiées – La mémoire active

Il faut bien comprendre que la mémoire à long terme n’est pas qu’un gros conteneur uniforme. La plupart des données sont « endormies » pendant que la minorité restante est plus ou moins « éveillée ». Cet éveil et cet endormissement étant graduels, ils influencent l’amorçage (plus une information est « éveillée » plus on y pensera facilement, et inversement).

À un instant donné, seul un certain nombre de connexions (et donc d’intuitions) sont – et peuvent être – actives. Une limite physique probablement : pour ne pas consommer trop d’énergie inutilement. Mais aussi une limite logique de la conscienceconscience : pour garder l’esprit simple et léger malgré l’expérience et l’accumulation d’informations.

Pour faire une autre analogie, on peut dire que les données sont sur une espèce d’île flottante au dessus d’un océan. Sur cette île il n’y a pas de place pour tout le monde. Alors quand de nouveaux arrivants font leur entrée, cela en pousse d’autres à l’extérieur de l’île, dans l’océan. Ces données ne sont pas perdues et pourront toujours remonter plus ou moins facilement sur l’île.

Les chosechoses « fortes », c’est à dire celles qui sont bien accrochées à l’île, représentent les chosechoses qui ont de l’importance et auxquelles on est attaché (c’est le cas de le dire). La récurrence seule ne permet pas un ancrage profond : c’est pour cela qu’on oublie des chosechoses qu’on a beaucoup utilisées pendant une assez longue période, comme les emplois du temps des années passées.

La capacité de l’esprit à réorganiser les connexions actives est permise par la plasticité cérébrale.

Lorsqu’une intuition fait sa première apparition sur l’île, elle est complètement éveillée. Par conséquent, ses manifestations dans le monde extérieur ont de grandes chances d’être abstraites de la mémoire sensorielle alors qu’elles ne l’étaient pas avant. Concrètement cela veut dire que dès que nous apprenons un nouveau mot (mot assez peu commun, nom de ville, nom de marque commerciale, etc), un nouveau « truc », nous pouvons avoir l’impression de le voir et l’entendre partout comme s’il venait d’être inventé, à tel point parfois que l’on s’étonne de cette fausse coïncidence. En fait, c’est simplement qu’une fois une donnée active dans la mémoire, elle ne passe plus inaperçue (cf filtrage threadique, exemple des tâches quand on vient de faire le ménage). C’est également pour cela que nous aurons tendance à placer un peu partout un nouveau mot que nous venons d’apprendre.

 

Remémoration d’une information précise

TODO Méta-mémoire = ma notion d’index [Méta-mémoire : = je sais que je sais]

Il est courant de vouloir se rappeler d’une information qu’on sait que l’on sait (oui oui c’est bien écrit, cela s’appelle d’ailleurs la méta-mémoire en psychologie, et cela recoupe également la notion de sentiment épistémique en philosophie), mais de ne pas y parvenir immédiatement. Cela est du à cette manifestation de la plasticité cérébrale. L’information n’étant plus jugée utile dans le contexte courant, elle a été déconnectée.

La solution pour récupérer cette information est de se remémorer des souvenirs liés à cette information, afin de rétablir les connexions.

En d’autres termes pour poursuivre l’analogie avec l’île flottante au dessus de l’océan, l’information que l’on cherche n’est plus sur l’île, mais dans l’océan. Il est néanmoins possible de la faire remonter sur l’île à l’aide de ses « proches ». Ses proches ce sont les données appartenant au même contexte. Certaines d’entre elles, qui sont assez éloignées, sont toujours sur l’île. C’est à partir de celles-ci qu’on peut initier la « procédure de secourisme » afin de récupérer la fameuse information perdue. Grâce à un travail de proche en proche, les informations vont se connecter une à une et créer une échelle vers l’océan.

Par exemple si je cherche le nom d’un personnage d’une série télévisée, je vais essayer de visualiser (dans ma tête) des scènes de cette série. Cette visualisation exerce une tension : c’est la création de l’échelle. Cette visualisation va également exercer une espèce de balayage : c’est l’échelle qui scrute et aspire l’océan. Durant ce balayage il se peut que vous aperceviez l’information que vous cherchez remonter à la surface. Si vous ratez votre coup et que l’information coule de nouveau sous l’eau, vous devrez recommencez le balayage.

Pour faire une autre analogie, se concentrer sur un souvenir c’est comme mettre une pièce dans une machine de jeu. Une fois la pièce insérée, le mécanisme se met en route et vous avez une chance de saisir le gros lot. Si vous échouez, il faut ré-insérer une pièce.

Ainsi donc, une quantité astronomique d’intuitions est plongée dans l’océan, seule une petite partie du total se trouve sur l’île. Cela explique en partie pourquoi la variété des mots que nous utilisons est beaucoup plus faible que la variété des mots que nous comprenons. La plupart des mots ne sont pas actifs et nous ne pouvons donc pas les utiliser. Toutefois, si nous entendons un mot inactif, alors notre esprit va le ressortir de l’océan (la plupart du temps instantanément) et nous le comprendrons sans problème. L’autre partie qui explique ce phénomène de vocabulaire productif restreint est évoquée dans le chapitre 1 : c’est la capacité de l’esprit à faire des inférences inductives, c’est à dire à estimer le sens d’une chosechose par rapport à l’utilisation contextuelle qui en est faite.



Méta-mémoire sur le très court terme, ou comment oublier avant même de savoir

C’est donc via cette « méta-mémoire » que nous pouvons nous retrouver dans cette situation étrange qui est de savoir qu’on a oublié une chosechose. Cette conscienceconscience de l’oubli peut également se manifester sur le très court terme : on peut même à peine avoir le temps de saisir une idée qui nous vient à l’esprit que « pouf », elle a déjà disparue. Plus généralement, lorsque cela se produit, nous avons accès à l’information pendant au moins quelques secondes. Mais quoi qu’il arrive, dans les instants qui suivent, on sait qu’il y avait quelque chosechose (qu’on « savait » pendant l’espace d’un instant), on peut même se souvenir si c’était une bonne ou une mauvaise idée (~ l’appréciation), mais on ne sait plus ce que c’est exactement. Une situation assez frustrante, similaire aux « souvenirs » des rêves (au réveil on sait qu’il s’est passé quelque chosechose (~ pensées particulières), on se souvient vaguement des sensations mais c’est tout. Le sommeil étant un état de conscienceconscience dans lequel des structures (hippocampe) sont « off »).

 

Sur le bas niveaubas niveau logique, je pense que cela est du à la non-activation d’une partie du circuit représentant la chosechose : suffisant pour savoir qu’on sait quelque chosechose, mais pas suffisant pour savoir quoi. C’est pour cela qu’on peut avoir des bribes d’intuitions qui nous viennent à l’esprit : ce sont les morceaux qui sont activés.

 

La mémoire procédurale, la mémoire des savoir-faire

La mémoire procédurale est la capacité de l’esprit à enregistrer, exécuter et affiner des procédures. Une procédure est une succession séquentielle d’instructions très précises que l’inconscientinconscient peut exécuter de façon rigoureuse. C’est une recette, un algorithme.

Les procédures de base, issues du code génétique, permettent de maintenir les fonctions végétatives du corps. Elles utilisent des algorithmes simples tels que : si taux de y inférieur à x alors sécréter telle enzyme, etc.

Dans la vie de tous les jours, c’est ce qui nous permet de retenir des mouvements très précis et de les reproduire fidèlement et sans effort conscient (marcher, jouer d’un instrument, faire du vélo, écrire sa signature, exécuter des combos dans les jeux de baston :D). On parle plus communément de « savoir-faire ». Plus généralement, tout automatisme relève de la mémoire procédurale (façon de faire les chosechoses, façon de raisonner, méthodes de travail, approches face à des situations types, etc).

Au niveau logique, l’esprit développe une procédure de la même manière qu’un programmeur informatique écrit une fonction : il analyse le besoin et entame l’écriture d’une fonction répondant à ce besoin. Une fois la procédure écrite, on peut l’appeler à notre guise.

Les performances artistiques (danse, acrobaties, figures, katas, etc) reposent sur une forte utilisation de la mémoire procédurale.

C’est un type de mémoire très particulier et indépendant des autres types de mémoire ; les procédures sont toujours implicites et ne reposent pas directement sur les intuitions (qui sont elles plus ou moins explicites selon le renforcement). En fait je dirais même que les procédures en elles-mêmes sont purement détachées de la conscienceconscience. Cela dit on peut avoir des intuitions sur les procédures que l’on travaille, je pense notamment aux chorégraphies (danse, kata/tao), intuitions qui sont différentes de la procédure elle même (~ instructions inconscientinconscientes).

D’ailleurs, le fait qu’il soit possible de travailler une procédure implique que comme les intuitions, elles s’enrichissent avec le temps. En dépit de l’indépendance logique, sur le bas niveaubas niveau tout type de mémoire repose sur des réseaux de neurones : on peut donc imaginer que leurs similarités proviennent de là.

Intuitions et procédures fonctionnent différemment, mais conjointement : les procédures amènent les intuitions et réciproquement. En fait je pense que comme en informatique, les procédures prennent des paramètres d’entrée qui vont encadrer leur déroulement et influencer leur résultat : ce sont les intuitions de la mémoire de travail, mais aussi toutes les informations de la mémoire sensorielle. Ce paramétrage procédural est je pense, le support du fonctionnement décisionnel inconscientinconscient (cf chapitre 14).

 

Comment écrire une procédure ?

Les procédures sont écrites par l’inconscientinconscient. En ce sens, on peut dire qu’elles s’écrivent d’elles mêmes en fonction de la direction de la conscienceconscience, c’est à dire en fonction de ce que nous faisons (voir chapitres précédents).

La mémoire procédurale n’est pas une mémoire figée, très loin de là. L’entraînement dans n’importe quel domaine correspond d’ailleurs à de nombreux ajustements et autres corrections au niveau des procédures enregistrées.

Dans un sens on peut dire que chaque réécriture d’une procédure entraîne une nouvelle version de celle-ci.

Typiquement voilà le schéma qui mène à l’écriture d’une procédure :

  1. Vision/visualisation du modèle, du but

  2. Essai, expérience

  3. Digestion mémorielle

Il suffit de répéter ce schéma et vous aboutirez à une très bonne procédure, quel que soit votre objectif. C’est ce que nous faisons à l’école en cours primaires lorsqu’on apprend à écrire les lettres de l’alphabet, et notamment lorsqu’on apprend à écrire les lettres majuscules. Et le résultat de cet apprentissage, c’est que nous disposons de procédures fiables (dans le sens où nous écrivons toujours de la même manière si on ne choisit pas de modifier ces procédures) nous permettant d’écrire vite et sans effort. Au début, lorsqu’on met en place ce schéma, l’essai sera probablement très loin du modèle visualisé. C’est normal. L’important à ce stade ce n’est pas de réussir mais de démarrer et nourrir le thread. Nourrir le thread c’est donner du travail à son inconscientinconscient. Ce travail c’est ce que j’appelle la digestion mémorielle ; le cerveaucerveau assimile toutes les données (les signaux perçus, etc) en rapport avec l’expérience et de là entame la rédaction de la procédure. Vous n’avez rien à faire de particulier, le simple fait de tenter l’expérience suffit à nourrir le thread et ainsi donner quelque chosechose à digérer à votre cerveaucerveau. Une bonne pause (>= 1 jour) permet une digestion mémorielle plus importante ; par conséquent lorsque vous effectuerez un essai après une bonne pause, vous remarquez probablement du progrès et une plus grande aisance. À force de répéter le schéma, l’exécution de la procédure vous demandera de moins en moins d’effort et l’effet sera de plus en plus réussi et « satisfaisant ».

Au niveau de la gestion du temps, elle dépend du domaine. En général quand je me fixe un objectif, je visualise une première fois le modèle attentivement mais assez rapidement sans trop m’attarder sur tous les détails. Ensuite j’effectue mes premiers essais. Après ceux-ci, et si j’en ressens le besoin, je revisualise le modèle pour effacer mes doutes. Ensuite une fois l’essence du modèle intégré, j’effectue des essais de temps à autre. Une ou deux semaines après, une fois que la digestion a bien fait son œuvre, je revisualise le modèle. Mais cette fois je m’attarde sur les détails car la base, mon cerveaucerveau l’a intégrée. Cela se fait naturellement. À terme le modèle n’est plus utile car la procédure est elle même devenue un modèle. C’est comme cela que se fait la transmission au fil des générations. En somme, l’écriture totale d’une procédure requiert une digestion progressive ; c’est comme si vous deviez digérer un poulet à vous seul, vous ne le ferez pas d’un coup : les premières fois vous mangerez le gros de la viande (le blanc) puis au fur et à mesure de la digestion vous pourrez passer aux détails importants (ailes, cuisses) et enfin aux détails minutieux (les petits restes ici et là). Les puristes pourront même s’attaquer à la moelle des os…

Lors d’une succession d’essais, l’introspection permet de « corriger » la procédure en analysant nœud à nœud (ex: donner un coup de pied circulaire : lever genou, ouvrir pied d’appui, tourner hanche, lancer jambe, déplier genou) ce qui ne va pas. Au niveau de l’analogie de la digestion du poulet, cela revient à analyser la carcasse pour identifier où il reste de la viande.

 

Représentation mentale d’un organe

Les organes impliqués dans la procédure voient leur représentation interne renforcée à chaque exécution. Plus la représentation interne d’un organe est développée plus on est apte à le contrôler avec précision et souplesse. C’est exactement la même chosechose avec les instruments de musique, qui sont en quelque sorte des organes externes.

Ce qui est particulièrement intéressant à ce sujet c’est que l’exécution mentale d’un mouvement (c’est à dire se voir précisément faire un mouvement particulier dans sa tête sans le faire physiquement), contribue également à renforcer la représentation mentale de l’organe. Et par voie de conséquence cela le renforce également physiquement ! Il m’a d’ailleurs parfois semblé que durant le sommeil, l’inconscientinconscient « révise ses leçons » en exécutant (mentalement) la même procédure un grand nombre de fois.



Les personnes ayant perdu l’usage d’un membre remplacent souvent la représentation mentale de ce membre par celle d’un autre en développant leur mémoire procédurale (plasticité cérébrale).

Les procédures ne semblent d’ailleurs n’avoir aucun lien sinon la représentation mentale des organes, qui facilite l’apprentissage de procédures similaires une fois développée (~ qualité abstraite). Bref le travail de procédures similaires donne naissance à une habileté.

 

Ce texte vous a intéressé ? Alors partagez-le avec vos connaissances en cliquant sur les boutons ci-dessous :

Twitter Facebook Google Plus Linkedin email

Commentaires fermés.

Laisser un commentaire