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Soulever les paupières invisibles

Un essai sur la logique du monde et de l'esprit
SOMMAIRE

Soulever les paupières invisibles

Un essai sur la logique du monde et de l'esprit

Chapitre 10

Heureux les ignorants ?

« D’où vient ce titre incongru ? La connaissance serait l’ennemi du plaisir ? Mais pourquoi ? Cela semble aberrant ! »



Une histoire de références

Tout d’abord une précision importante : je confronte ici l’ignorant face au connaisseur, pas le bête face à l’intelligent.

Essayons d’expliquer cela de manière simple et rationnelle. L’ignorant n’arrive pas à distinguer finement la valeur car il manque de références, alors que le connaisseur lui, arrive à différencier les moindres différences et subtilités grâce à sa culture (les œnologues avec les différents vins par exemple).

En effet, notre cerveaucerveau procède par comparaison et inductioninduction pour déterminer la valeur d’une chosechose. L’expérience apporte des références permettant un jugement plus fin : plus on connaît de valeurs, plus on est apte à positionner correctement une autre valeur. Après, de savoir si à la base on associe une chosechose à la « bonne » valeur, c’est une autre histoire, et en fait ça n’a pas vraiment d’importance étant donné la relativité du monde (voir chapitre 2) ; nous devons être considérés comme des systèmes à part entière.

Plus on s’y connaît, plus on peut faire de comparaisons et donc plus notre cerveaucerveau va traiter l’information pour déterminer un jugement : c’est l’esprit critique. Dans le cas d’un ignorant, l’information n’est donc presque pas traitée, la valeur sera posée à une extrémité ou à l’autre. Par conséquent, dès qu’il apprécie, et bien il apprécie tout simplement, sans se poser de question ; « faute » de pouvoir déterminer plus précisément. Alors que pour ce qui est du connaisseur, ce n’est pas si simple. Si « par malheur » il a connu mieux, la comparaison ne va pas être favorable… Il a des critères, ce que l’ignorant n’a pas.

Bref, l’ignorant ne peut évoluer que sur un système basique, binaire, du genre : j’aime, je n’aime pas.

Tandis que le connaisseur évolue sur un système plus approfondi, du genre : j’adore, j’aime beaucoup, j’aime bien, j’aime un peu, je n’aime pas vraiment, je n’aime pas du tout.

Donnez un vin moyen au connaisseur, il vous dira que c’est de la mauvaise « piquette » ; alors que l’ignorant l’appréciera peut être car il n’a même pas conscienceconscience de ce qu’est un bon vin (en admettant que tous les deux aiment le vin).

L’appréciation de l’humour fait également appel aux références, ce qui explique qu’un certain humour n’est pas compréhensible et même drôle pour tout le monde.

 

La profondeur voilée

C

Ce n’est pas tant le point de vue du lapin qui est intéressant sur cette image, mais le point de vue de l’individu qui émet la réaction déconcertée d’en dessous. D’une part il ne comprend rien de ce qui est dit (« I have no idea what you’re talking about ») – par exemple un texte comme ce chapitre – , il n’arrive pas à suivre et saisir les idées qui sont trop loin de ses repères. Et d’autre part il est décontenancé par la présence de ce pancake sur la tête du lapin, car elle ne correspond à aucune de ses connaissances, de ses conventions (à l’inverse d’un chapeau par exemple). Bien qu’il puisse identifier les composants (~ repères), leur combinaison n’a pas de signification, elle ne veut rien dire.

Dans l’absolu, le pancake sur la tête du lapin pourrait avoir un sens, comme beaucoup d’autres chosechoses que nous ne percevons même pas car trop loin de notre référentiel de perception (voire inaccessibles à nos organes sensoriels et/ou à notre esprit). Dès qu’on s’éloigne un tant soit peu de nos référentiels classiques, nous sommes perdus et nous ne pouvons plus « raisonner ». C’est l’une des raisons pour lesquelles nous répétons souvent les mêmes chosechoses, que nous manquons « d’inspiration » et que nous anthropomorphisons tout ce qui se passe.



De plus, l’expérience approfondie d’un connaisseur (couplée avec une certaine intelligence) permet la perception de la profondeur. Cette capacité permet de voir, sentir des chosechoses que l’ignorant ne peut pas. D’un point de vue de l’abstractionabstraction, on peut dire que c’est avoir une capacité d’analyse qui s’étale sur plusieurs couches différentes. Par exemple, les œnologues perçoivent toutes sortes de subtilités dans un excellent cru alors que moi – en piètre amateur – je ferais difficilement la différence avec de la vieille « vinasse » sans profondeur ; non seulement je ne m’y connais pas mais en plus je n’ai pas la capacité de sentir ce qui fait qu’un vin est bon ou pas.

C’est grâce à ce phénomène que les joueurs (très) occasionnels de jeux-vidéo apprécient les jeux « casual », le « phénomène Wii ». Dans ces jeux, il y a peu de profondeur (voire aucune), et donc tout leur est accessible. Par contre, pour apprécier à sa juste un valeur un BTA de scoring, un jeu de stratégie ou encore un vrai jeu de baston, il faut s’y connaître « méchamment ». C’est tout un langage qui se cache derrière leurs apparences. Certains jeux sont d’ailleurs très forts dans le sens où ils arrivent à jouer sur les deux plans : ils recèlent d’une grande profondeur mais restent quand même accessibles et appréciables pour les premiers venus. On dit de ce genre d’œuvres qu’elles ont plusieurs niveaux de lecture.



Une affectation liée à l’expérience

Plus globalement, cette affectation de la valeur par rapport à notre expérience est d’ailleurs très notable dans le domaine du jeu-vidéo avec la course aux graphismes. Tous les 5-7 ans, une nouvelle génération de consoles de jeux voit le jour et permet l’arrivée de graphismes de meilleure qualité, toujours plus réalistes. À chaque arrivée d’une génération, tout le monde s’accorde à dire que les graphismes sont beaux et impressionnants, « hyper-réalistes ». Pourtant dès la génération suivante, ceux-ci deviennent dépassés. En fait, les jeux d’une génération paraissent beaux et bien faits à condition que l’on ignore la qualité des graphismes des générations futures. Bien sûr, ce phénomène va s’atténuer, mais quand on voit que l’on trouvait la 3D très cubique de la 5ème génération (PS1, N64, etc) belle et impressionnante… Il ne fallait vraiment pas connaître ce qui se fait actuellement (et donc être en quelque sorte ignorant). (Par extension, le même phénomène existe avec la puissance et la capacité des ordinateurs, qui ne cessent de se décupler au fil des années. On ne parle pas alors d’hyper-réalisme à chaque sortie mais d’hyper-puissance.)

D’ailleurs, lorsque les européens ont joué aux jeux NTSC 60hz convertis en PAL 50Hz, je pense que la plupart n’ont pas vraiment noté le ralentissement (~ effet de gravité lunaire) et que cela n’a pas biaisé leur appréciation, car c’est la seule chosechose à laquelle ils ont été exposés. En revanche, ceux qui connaissaient le phénomène, et a fortiori ceux qui valdinguaient de version NTSC à PAL, ont été très affectés par cette conversion. Ce phénomène particulier a maintenant disparu, mais on constate encore la même chosechose avec les graphismes d’un même jeu en passant de la version console à la version PC.

Aussi, toujours dans le domaine du jeu-vidéo, je me souviens de Pokémon Rouge, mon premier RPG. Comme j’étais ignorant en matière de RPG à l’époque, sa valeur était beaucoup plus forte qu’elle ne l’est actuellement (étant donné que je suis nettement plus connaisseur maintenant).

En ce sens, un visionnaire est quelqu’un qui a la capacité de voir où l’évolution des références va nous amener (~ gradient). Cela sous-tend l’utilisation de la capacité d’imagination, qui permet également de voir au delà de ce que le futur pourrait apporter : on parle alors d’innovation (~ la capacité de créer une chosechose dont la valeur « n’existait » pas sur le « marché »).



Prise de conscienceconscience et réalisation

Il n’est pas rare d’avoir toujours été satisfait d’un bien, et de tomber un beau jour sur un connaisseur élitiste qui vous balance sans détour que « votre truc ne vaut rien ». En France, c’est assez notable avec les amateurs de voix originales (VO) de films et autres séries télévisées, qui critiquent sèchement la version française. Alors que franchement, dans la plupart des cas ça ne dérange personne, et on finit même par s’attacher aux doubleurs et à les préférer aux voix originales (cf ancrage, chapitre 9). C’est surtout la comparaison qui fait mal, pas le doublage en tant que tel (cf relativité). Moi par exemple, en amateur de burgers, je ne connais que ceux de McDonald et Quick, que je trouve plutôt bons (au niveau du goût). Mais quand je vois les débats sur Internet, dans lesquels Burger King ressort souvent vainqueur, et bien je pourrais me dire que je rate quelque chosechose. Ce qui serait faux, car comme je l’ai développé dans les chapitres précédents, on ne rate pas la valeur. Cela soulève un peu le phénomène du « Quand on y a goutté on ne peut plus revenir en arrière » : en ne ratant plus ce qu’on ratait avant, on rate ce qu’on ne ratait pas avant !

Je suis satisfait par de la bouffe fast-food, de la même manière que le « gamer » typique est satisfait par un jeu de guerre ou un jeu de foot dans le domaine du jeu-vidéo ; des jeux sur lesquels j’aurais tendance à cracher du dédain depuis mon piédestal dans ce domaine. Tout est relatif.

Tout est relatif parce que chaque chosechose à sa profondeur, et parce qu’on ne peut juger de la profondeur que si l’on est qualifié.

Il est quand même assez surprenant de constater ce schéma « d’élite » se répéter dans tous les domaines. En effet, quelque chosechose aura beau être reconnue majoritairement comme étant ce qui se fait de mieux, il y aura toujours des personnes très pointues dans le domaine concerné pour la descendre et l’accuser d’imposture, de régression, etc… en y apportant des arguments valables ! Par exemple Bruce Lee est reconnu majoritairement comme étant un grand combattant, souvent cité comme le meilleur. Et pourtant si vous suivez des débats de connaisseurs sur Internet, vous verrez qu’il sera souvent rabaissé au rang de simple acteur, qu’il n’a jamais remporté de prix/tournois et qu’il se ferait écraser en un seul coup par un champion de free fight (UFC). Bien sûr d’autres seront là pour le défendre en mentionnant qu’il a fait plus qu’être un simple combattant, qu’il s’entraînait en permanence et que de nombreux grands maîtres l’ont défié et ont été vaincus durant sa carrière, et même qu’il a créé sa propre voie, « sa philosophie » de vie et de combat. De la même manière, je vois et j’abstrais exactement le même schéma au niveau des débats sur les systèmes d’exploitation pour ordinateurs (Windows VS GNU/Linux VS Mac OS), sur les films reconnus, sur les jeux-vidéo reconnus, sur les réalisateurs/auteurs reconnus, sur les langages de programmation, techniques de combat, techniques de médication, … Et le pire dans cette affaire c’est qu’au fond personne n’a tort, les arguments sont très souvent justes des deux côtés. Pouvoir descendre ou encenser une même chosechose sans pour autant sombrer dans la calomnie (« troll ») ou la glorification dithyrambique, c’est assez magique je trouve. Et cela en dit long sur la notion de vérité.

Il y a deux façons d’ouvrir les yeux. Alors que certains s’attarderont sur des détails invisibles au plus grand nombre, d’autres se fieront à leurs premières impressions. Et Dieu sait que le détail peut être fondamental : si on regarde bien, seuls des détails différencient physiquement un homme d’une femme. Regardez chez les animaux, c’est encore plus frappant. Et pourtant ces détails font toute la différence. La chosechose importante c’est qu’on peut aussi bien se perdre dans l’ignorance et dans l’observation grossière que se morfondre dans la connaissance excessive et le blocage sur du détail, jusqu’à en mourir même (les personnes mal dans leur peau ou dépressives sont souvent victimes d’une surévaluation du détail). Encore une fois, tout est dans la mesure.



Il existe d’autres formes de prise de conscienceconscience, notamment celles qui surviennent suite à un rattachement sentimental (cf ancrage de la valeur, chapitre 9). Il y a par exemple le cas de la prise de conscienceconscience par dégoût. Exemple typique (ou pas) : le foie gras ; depuis qu’il est enfant un individu en mange pendant les fêtes, c’est super, puis un jour la fatalité arrive : il prend conscienceconscience de sa méthode de fabrication, le gavage. Ce lien l’empêchera d’en manger à tout jamais.

Heureusement ce phénomène a son pendant positif, la prise de conscienceconscience par « admiration », par « respect ». Il survient lorsqu’on se rend compte de l’investissement et l’ampleur d’une chosechose que l’on n’imaginait à peine. Notre avis sur un individu peut ainsi grandement évoluer lorsqu’on apprend une chosechose qu’il a faite. Cela vaut également pour tout type de liens : les liens de parenté (« fille de… », « père de… », les liens d’affiliations (« membre de… », « chef de… »), etc.

On ne juge alors plus un objet par rapport à ce qu’il nous semble être, mais par rapport à ce qu’il représente.

Et lorsqu’on ne connaît pas bien une chosechose, cette approche peut amener à des préjugés malvenus ; on met le poids de ce que l’on connaît et que l’on associe à cette chosechose pour déterminer sa valeur.

(Cas A : HTML => évoque Informatique => N’aime pas l’informatique => Mauvaise image

Cas B :HTML => évoque Mon site => Aime mon site => Bonne image)



La discordancediscordance temporelle

Maintenant parlons du problème inhérent à ce système d’affectation relative : la discordancediscordance. Qu’est ce que c’est ? Et bien il s’agit d’un décalage entre l’image que vous avez d’une chosechose en mémoire et la perception actuelle que vous pouvez en avoir aujourd’hui. Techniquement c’est assez simple, il s’agit d’une valeur enregistrée il y a longtemps (à une position particulière) et qui n’est plus valable aujourd’hui, tout simplement car la relation que vous aviez avec la chosechose jugée lors de l’affectation n’est plus la même actuellement. (On positionne la valeur au « centre » de l’ensemble, mais si l’ensemble change, ce que représente son centre change aussi et donc l’association n’est plus d’actualité). Le décalage s’effectue petit à petit, à mesure que nous changeons.

Déroulons cette définition avec un exemple.

  • Admettons qu’on soit un enfant de 10 ans. Pour déterminer la valeur d’âge d’autrui, la référence c’est notre âge. À partir de là :

  • Si Marcus a 5 ans, c’est un « petit ».

  • Si Albert a 15 ans, c’est un « grand ».

  • 20 ans plus tard, notre âge qui fait office de référence a changé. Nous avons 30 ans, et dorénavant :

  • Marcus 25 ans => adulte

  • Albert 35 ans => adulte.



Une mise à jour des valeurs a été effectuée. C’est ce qui nous permet de savoir à quelles personnes on fait allusion à l’école, au collège, au lycée, etc, quand on parle des « CP », des « CE2 », des « 6èmes », des « premières S », … Et ce même si les correspondances changent tous les ans. Ces mises à jour s’effectuent car on assiste à l’évolution, on voit les chosechoses changer sous nos yeux, donc notre cerveaucerveau s’adapte tout seul et réaffecte correctement chaque clé avec sa valeur.

Mais que se passe-t-il si on ne se rend pas compte que les chosechoses ont changées ? Et bien nous y voilà, la discordancediscordance temporelle. Par exemple, admettons que l’on considère un film « bien » pendant notre enfance. Depuis, notre expérience du monde a grandement changé ; nos critères permettant de définir si un film est « bien » ont évolués. Pourtant, si nous n’avons pas revu ce fameux film de notre enfance depuis, il se peut que sa valeur enregistrée n’ait pas changée, et donc que nous en gardons toujours une « bonne » image. C’est ce phénomène qui fait que parfois, on garde un bon souvenir d’une chosechose et pourtant, quand on la revoit aujourd’hui, « OUTCH ». La mise à jour n’est pas automatique. D’ailleurs certains préfèrent garder la bonne image de certains souvenirs plutôt que de regarder les chosechoses en face…

Comme pour tout, dualité oblige, cela fonctionne dans les deux sens ; on garde un souvenir terrible d’une chosechose et puis finalement, quand on y est confronté, on se rend compte que ce n’est pas si terrible que ça.

D’une manière générale, les chosechoses paraissent beaucoup plus grandes et longues quand nous sommes petits (ou alors plus petites et courtes quand on est grand) [« minuit », niveaux de Spyro], du fait de la relativité impliquée par l’accumulation d’expérience (modification de l’ensemble de référence, des critères associés à une position).

 

La mode, les clips musicaux, les effets spéciaux sont des domaines très affectés par ce décalage des valeurs, qui prend la forme d’une « ringardisation » : il suffit d’une dizaine d’années pour que la rétrospection devienne frappante. Ce phénomène est renforcé du fait que la majorité des chosechoses évoluent progressivement : si une personne qui porte habituellement une coupe de cheveux assez courte se laisse pousser les cheveux naturellement pendant un an, elle ne sera durant ce temps jamais «étonnée» de se voir dans le miroir tous les jours ; en revanche si elle revoit une photo d’elle il y a un an, elle sera probablement assez stupéfaite. Bref pour ne pas se faire remarquer, il peut être judicieux de faire ce qu’on a à faire devant les yeux de tout le monde, petit à petit…

 

En somme, plus on s’y connaît plus on devient critique vis à vis des chosechoses. On laisse passer de moins en moins de défauts et on est de moins en moins impressionnable. En outre, la perception de la profondeur rabaisse automatiquement toute chosechose qui en est dénuée. Dans ces conditions on peut penser que l’on a moins de chances d’être heureux si on est connaisseur. Mais c’est sans compter sur les nouvelles portes que la connaissance ouvre, permettant d’apprécier autant de nouvelles chosechoses qu’elle empêche d’en apprécier. C’est encore une fois une manifestation de l’équilibre (voir chapitre 4).

Et puis, le connaisseur peut se consoler, l’ignorant, comme son nom l’indique, ignore la vraie valeur des chosechoses. Il croit être heureux, mais c’est peut être parce qu’il ignore qu’en réalité il est malheureux. Difficile de faire un choix entre le déchirement de la lucidité et l’innocence de l’aveuglement. Mais rassurons nous, de par la relativité et l’équilibre, nous sommes tous à la fois ignorant et connaisseur, chacun à notre façon.



Ignorance relative

L’ignorance dans un domaine peut être globale (pas de références du tout, la chosechose ne peut être rapprochée d’aucune autre, elle est donc placée arbitrairement) ou relative (la chosechose est trop éloignée des références connues, on ne peut bien apprécier/différencier qu’un sous-ensemble). Ex : tant que ça reste à un niveau de complexité assez faible, une personne peut être en mesure d’apprécier (comprendre mathématiques, etc) mais à partir d’une certaine valeur cela sort de son champ de compétences, elle est perdue.

Exemple d’ignorance relative : quand on imagine son pays, on distingue bien les différentes régions, tandis que lorsqu’on imagine un pays étranger, on a une image plus globale et réductrice (~ boîte noire).

ORE (Other Race Effect) : hypothèse de contact = on discrimine mieux les visages des groupes que l’on côtoie.



Les ignorants sont impressionnés pour trois fois rien

Quand on découvre quelque chosechose, que l’on commence dans un domaine, que l’on effectue des recherches sur l’inconnu, cela nous paraît immense, presque infini. On est perdu, inondé dans cette masse inconnue. Mais dès qu’on acquiert un peu de connaissances, que l’on se familiarise avec le domaine, alors on entrevoit des recoupements, des « coïncidences ». Et on se rend compte qu’on a surestimé la masse d’informations réelle. C’est le cas lorsque parfois, on a l’impression qu’on ne fait que commencer alors qu’en fait on a quasiment tout vu.

[ banque de données, « collection », magasin de jouets, variété humaine, etc]

Cet effet se produit car le manque de connaissance empêche l’esprit de rapprocher les chosechoses, et donc d’apprécier la valeur de chacune et d’entrevoir les limites, nous rendant ainsi très impressionnables.

C’est parce qu’on ne connaît pas un domaine (ignorance relative) qu’on est impressionné par ses aspects les plus banals. Tout ce qui fait partie du tronc commun général est « normal », mais ce qui fait partie du tronc commun des autres domaines n’est normal que pour ceux appartenant à ce domaine. Par exemple, une personne qui connaît peu l’informatique sera impressionnée quand un informaticien ouvrira un terminal (écran noir) pour y taper une simple ligne de commande (« Oh ! », « Ouaw, trop fort ! ») alors qu’elle ne sera pas du tout impressionnée par la capacité de parler de cette personne (alors que c’est beaucoup plus complexe).

 

Les connaisseurs pinaillent pour trois fois rien

Dans les films, il y a énormément de petites erreurs techniques que la majorité des spectateurs ne remarquent pas. Que le héros change 15 fois de vitesses au volant de sa voiture, qu’il tire 50 fois avec son pistolet sans recharger, qu’il tape sur 37 touches de son ordinateur pour zoomer une photo… ces « défauts » ne dérangent pas l’ignorant, alors qu’ils horripilent le connaisseur.

À titre d’exemple, voici l’avis d’un asthmatique à propos de l’utilisation des ventoline dans les films :

« Ayant eu de l’asthme, ça m’énerve de n’avoir jusque là vu AUCUN film où la ventoline est utilisée correctement par les acteurs ! La tranche de la population dont je faisais partie est si mal représentée au cinéma, à croire qu’aucune équipe de tournage ne se renseigne sur l’utilisation exacte d’un inhalateur, ce qui est pourtant simple. »

De manière caricaturale, le connaisseur met en emphase le domaine qu’il connaît (~ abstractionabstraction et relativité), il lui donne une importance démesurée : « tu ne te rends pas compte, 1 x c’est énorme », « ce genre d’erreur, c’est impardonnable ! » dira-t-il lorsqu’un élément n’est pas tout à fait conforme.

C’est quelque chosechose de très général chez les spécialistes, et qui ressort beaucoup dans leur discussions : ils pinaillent, insistent et s’emportent sur des petits trucs auxquels les ignorants ne font pas attention. Ils interprètent beaucoup.

 

Connaissance, réalisation et appréciation

TODOCUR

Jamais perçu, nouveauté, association nouvelle dans le référentiel

Jugement sur ce que ça va impliquer dans le futur (annonce, révélation, découverte).

Attente d’un jeu = sait peu de chosechoses. Annonces = plaisir car on va apprendre quelque chosechose (implication). Pour ça qu’un teaser fonctionne.

Jugement sur ce qu’une forme implique (muscle, graisse, trait de vieillesse)

Belle écriture, beau montage => flow well in our mind

Réalisation : quand truc finit par s’intégrer dans quelque chosechose de significativement plus grand, sur un autre niveau.

Profondeur.

Quand on réalise qu’on s’est fait spoiler → fuuuuuuuuu

Quand on a déjà réalisé quelque chosechose une fois, il est plus dur de le réaliser de nouveau, et l’effet est bien plus minime.

La connaissance est évidemment un facteur très important dans l’établissement du plaisir logique dont je parlais à la fin du chapitre 8.

Seuls les connaisseurs apprécient certaines chosechoses (haut niveauhaut niveau, philosophie, passion, spécialité, news ciblée, etc), et ce parce que l’appréciation vient s’intégrer dans les réseaux de nos représentations. Plus ces réseaux sont profonds plus il est possible d’apprécier les domaines associés.

En effet, dès le début, l’appréciation de chaque chosechose dépend d’une série d’implications plus ou moins conscientes (inconscientinconscientes pour la plupart, cf niveau humain). La finalité de ces implications étant le bas niveaubas niveau (~ fait du bien/fait du mal). Que ce soit au niveau du monde « physique » naturel (couleur d’un fruit, musculature d’un homme, etc) ou symbolique (une nouvelle, une révélation, un raisonnement, etc), la valeur d’une chosechose dépend de ses potentielles implications présentes et futures (c’est une sorte d’estimation statistiquement fiable).

Ce qui nous amène à un deuxième principe : la réalisation. La valeur dépend des implications qu’on est en mesure de faire actuellement. Par exemple, on n’apprécie seulement la mort comme étant forte que lorsqu’on réalise toutes ses implications : ne plus voir, ne plus penser, ne plus entendre, ne plus sentir, fini X, fini Y, fini Z, etc. Si on la prend juste comme la mort, sans la lier à d’autres chosechoses, cela ne fait ni chaud ni froid. Il faut réaliser la chosechose dans toute sa profondeur pour l’apprécier (focus). C’est pour ça que l’ignorant ne peut pas réaliser certaines chosechoses, il faut avoir le réseau, les connexions permettant de se rendre compte de ces chosechoses.

Cela dit, dans certaines conditions il arrive qu’on ne réalise pas les chosechoses pour d’autres raisons que le manque de connaissance ; bien souvent quand les implications sont trop grandes (~ choc). Par exemple, à la mort d’un proche, ou lors du gain du gros lot : sur le coup, on peut étrangement ne rien ressentir. Beaucoup d’aspects émotionnels de l’appréciation dépendent de la réalisation des chosechoses. Quand on réalise une chosechose pour la première fois, cela déclenche une émotion de surprise. Quand on réalise que nos plans sont compromis, cela déclenche une émotion négative. L’empathie (~ se mettre à la place de quelqu’un) dépend aussi de la réalisation, tout comme l’atteinte d’objectifs plus ou moins conscients. (Quand on réalise qu’un projet avance et ou est presque fini on est content, alors que quand on réalise qu’un projet n’avance pas et est loin d’être fini on est dépité).

D’ailleurs on peut réaliser un objectif de façon illusoire, c’est à dire croire qu’on a atteint un objectif par erreur (par exemple parce qu’en apparence nos tests sont concluants), et donc « être heureux à tort ». La réalisation ultérieure de cette « fausse joie » aura l’effet inverse.

De manière plus ou moins opposée à la « fausse joie », on peut ne jamais être heureux car nos objectifs sont trop hauts, et donc jamais atteints (~ discordancediscordance de forme).

Entre puzzle et échiquier

Bref, toute l’appréciation de haut niveauhaut niveau s’articule autour des réseaux, des « puzzles » d’informations stockés dans nos têtes. Durant l’interprétation de chaque chosechose, on la confronte à notre référentiel. Chaque représentation de ce référentiel a déjà une valeur (~ base), et donc tout est une question de placement par rapport à ces représentations. Pour que la valeur s’exprime, la chosechose doit être une pièce du puzzle, une clé et donc ouvrir quelque chosechose d’autre.

De manière générale, les connexions nouvelles sont valorisées et déclenchent une forte appréciation, tandis que les connexions déjà existantes sont dévalorisées et en déclenchent par conséquent de moins en moins. L’absence de connexion peut également entraîner une valorisation : le manque, l’incertitude.

C’est une manière de gérer l’attention (cf évolution, chapitre 5), et de tapisser le réseau. À mesure qu’on découvre les chosechoses, on est poussé dans une autre direction. Il y a des trous à combler dans le réseau. Ça les créateurs de romans, de séries et autres l’ont bien compris. Ils créent un réseau et y laissent intentionintentionnellement des trous, pour tourner autour et déclencher de la valeur en distillant l’information (suspens, thriller). Une fois les trous bien comblés, il faut se renouveler et créer de nouveaux trous ailleurs, ou tout du moins transformer les liens existants, car les informations ne sont plus intéressantes.

Banalisation : trou déjà bien comblé. Parle comme si de rien n’était, blasé.

Ces créateurs ont aussi bien compris qu’il y a des nœuds importants dans un réseau, et que les connexions, les changements de connexions et les manques de connexions entre ces nœuds et les autres sont automatiquement intéressants. On est toujours attiré par la moindre nouveauté à propos d’un truc qu’on connaît bien.

Les trous à combler entre les représentations intéressantes sont également considérés comme intéressants.

Mais pour créer une forte valeur, il s’agit de créer un nouveau nœud qui se lie avec d’anciens nœuds de manière cohérente et inattendue (révélations, chocs). Le nouveau nœud devient particulièrement intéressant s’il permet de lier deux nœuds très intéressants qui jusque là n’étaient pas liés entre eux.

C’est d’ailleurs tout le paradoxe de l’appréciation de haut niveauhaut niveau : l’esprit doit s’attendre à quelque chosechose d’inattendu pour que ça fonctionne.

TODONEXT Plaisir logique (comme si esprit s’y attendait tout en étant surpris, tout en ne s’y attendant pas). Le paradoxe avec l’appréciation, c’est qu’on s’attend à aimer certaines chosechoses.

Possible de le suggérer, de le faire envisager sans le faire réellement.

Il y a plusieurs façons de « jouer » avec notre système de réalisation pour produire un effet. Dans les romans et autres, il est par exemple possible de faire en sorte que ce que le lecteur réalise soit cohérent mais ne soit pas la réalité, et ainsi créer un « twist ». Il est aussi possible de faire réaliser les personnages de l’histoire avant le lecteur, ou à l’inverse de faire réaliser le lecteur mais pas les personnages. Par exemple, quand quelque chosechose ne se passe pas bien, admettons un personnage qui pour X raisons ne se rend pas compte qu’une autre lui veut du bien ou du mal, ou qu’il va droit dans un piège ; on se dit « Non mince, c’est stupide, s’il savait ! ». Mais si tout se passait bien, l’œuvre serait nulle et ennuyante. Tous ces problèmes improbables sont là exprès. Les romans et autres séries sont en effet des stimuli supranormaux : tout est exagéré, il se trame des tas de chosechoses en même temps, beaucoup plus que dans la vie normale ; et c’est bien pour ça qu’elles fonctionnent.

 

Qu’est-ce qui fait de nous un connaisseur ?

Je ne pense pas qu’on devienne connaisseur par hasard. Les (futurs) connaisseurs ont quelque chosechose qui les différencie des autres, quelque chosechose qui leur a fait apprécier la base du domaine qu’ils connaissent (BEVBEV particulier), et là dessus permis l’attention et l’enrichissement des connaissances. Un grand philosophe, comme Socrate par exemple, devait avoir quelque chosechose de très particulier pour développer sa pensée comme il l’a fait. Ce quelque chosechose c’est plus ou moins ce que j’appellerais les goûts de bas niveaubas niveau dans le chapitre 19, et ce qui mène à ce que j’appelle fatalités automates dans le chapitre 14.



Le trône de fer et les ficelles de l’appréciation

Comme je le disais plus haut, la plupart des romans et autres séries usent de procédés assez classiques pour créer l’émotion. Le trône de fer (A Song of Ice and Fire en VO, ou Game Of Thrones pour l’adaptationadaptation télé) est une série de romans particulièrement réputée pour contenir des événements choquants, voire ignobles. Mais si certains des événements dépeints sont si choquants, c’est avant tout parce qu’ils concernent des personnages dont on a pris le soin de nous faire connaître. Cet encadré peut être considéré comme un « spoiler », alors si vous ne connaissez pas cette fiction et comptez vous y mettre un jour, vous seul savez ce qu’il vous reste à faire.

Le truc avec ce roman, c’est qu’il n’hésite pas à faire mourir des personnages principaux. En général, quand on fait une série de roman on a peur que si on enlève quelque chosechose (~ mort d’un personnage), on va perdre de la valeur, une partie de ce qui fait la force de la série, un pilier. Alors on cède à la facilité : on met les héros dans des situations difficiles desquelles ils sortent in extremis, au dernier moment. Pour palier à ce problème, l’auteur de ce roman, George R. R. Martin, use d’un procédé somme toute très rationnel : créer plus de personnages principaux qu’il n’en faut. En effet, quand il y a plein de piliers, on peut se permettre d’en détruire… Et mieux encore, on peut les remplacer pour toujours se permettre d’en détruire d’autres. Bref, il y a juste à distribuer toutes les valeurs du roman dans le temps (~ cyclecycle) et dans l’espace (~ abstractionabstraction) : les ancres changent, la valeur reste.

Les personnages sont imaginaires, on peut en créer plein, contrairement aux schémas qu’ils utilisent pour créer la valeur.

L’auteur tisse un réseau, fait connaître les personnages, développe leur « background » de telle sorte à ce que le lecteur réalise leur situation et ce qui va leur arriver. Quand un personnage meurt, c’est tout ce qu’il représente, son futur, ses ambitions, ses relations, sa position qui est détruit en même temps. Tout ce qu’un personnage est et a vécu, les événements de sa vie etc, contribuent à son identité, c’est compressé dans l’intuition qu’on a de ce personnage : on ne se souvient pas explicitement de ce qu’il est et ce qu’il a vécu mais c’est quand même là (cf chapitre 17 et 18). Tous les événements « paisibles » préparent le terrain, ils sont nécessaires pour créer le choc.

Le « tour de passe » du trône de fer, c’est qu’en réalité il y a des « vrais » personnages principaux (qui restent et échappent à tout, comme Thyrion par exemple), comme un dans roman classique. Mais ces personnages principaux sont habilement mêlés et confondus avec des personnages importants, si bien que cela brouille les prévisions. C’est un peu comme ce tour de magie avec les verres opaques et la pièce : les verres se ressemblent, interagissent ensemble, mais seul l’un deux contient la pièce. Dès le début, certains des personnages « forts » et développés sont des leurres faits pour mourir.

Ainsi, le trône de fer joue avec les codes, les attentes et autres prévisions générales (~ un héros gagne et ne peut mourir) mais aussi avec les prévisions situationnelles. La chosechose étant, on ne peut s’empêcher de prévoir les chosechoses, de se préparer inconsciemment à ce qui peut être possible, envisageable. Normalement les chosechoses se passent dans la continuité. Et quand ce n’est pas le cas, elles changent doucement, dans un même sens, si bien qu’on a le temps de réaliser ce qui se passe et donc de voir les chosechoses venir, de mettre à jour nos prévisions. (Et tout cela est valable aussi pour les personnages qui sont aussi humains, ce qui rajoute une dimension empathique).

Là encore l’auteur utilise les failles du système : il fait relâcher la garde du lecteur et des personnages avant d’asséner un coup fatal (~ ascenseur émotionnel). En d’autres termes, il commence à aller lentement mais sûrement dans un sens pour soudainement aller de plein fouet dans le sens opposé, de telle sorte que les chosechoses arrivent trop vite pour qu’on puisse réagir et changer nos prévisions. Par conséquent tout arrive brutalement, c’est à peine si le lecteur et les personnages ont le temps de réaliser toutes les implications qui s’activent dans leur tête ; ce genre d’explosion, de déboulée de pensées insaisissables rajoute un effet considérable. Tout est empilé pour avoir l’effet le plus puissant.

À tel point qu’avec le temps, on peut commencer à s’adapter à ces stratégies, finir par s’attendre à tout et même trouver les ficelles grossièrement évidentes. Et à partir du moment où on se fixe là dessus, le roman semble s’enliser dans ses propres clichés. Et si on ne réalise pas qu’il s’agit d’un effet subjectif, le schéma d’élite dont je parlais tout à l’heure va pouvoir apparaître.

prévision, twist, tournure inattendue, brutale, pas le temps d’adapter et de reprévoir.

rien compris à ce qui lui arrivait

On essaie de prévoir, de s’adapter. Les show jouent avec ça.

 

 

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