Chapitre 20
Le ménage par les rêves
Les rêves, ou l’expression de l’inconscientinconscient lors du sommeil. À peine assoupi, voilà que nous pensons à des chosechoses bizarres, comme s’il n’y avait plus de supervision, plus de ligne directrice de pensée. (C’est la conséquence de la « mise en pause » du cortex-préfrontal). Je pense que nous entrons alors dans un mode de conscience spécifique (cf chapitre 16) ; nous rêvons.
Tout le monde rêve (ou presque) ; et pourtant presque tout le monde s’en fiche ! Alors qu’en fait, c’est toute une vie qu’on mène et qui est cloisonnée dans nos rêves.
En général, qu’on ne se souvienne plus de rien ou que nous soyons encore en sueur tellement nous étions immergé, dès qu’on se lève on reprend conscienceconscience et on retourne brutalement et sans scrupule dans le « vrai » monde. Nous essayons rarement de nous souvenir (cf chapitre 11) ; pourtant si on ne le fait pas très tôt, tout cela part incroyablement vite dans les tréfonds de la mémoire à long termemémoire à long terme (cf chapitre 17). Cette piquée vers l’océan est d’autant plus marquée au niveau des rêves du fait que nous soyons endormis et qu’il n’y a donc pas d’expériences extérieures auxquelles on peut rattacher ce rêve (et que de toute manière le cortex préfrontal est en sous-activité), ce qui nous l’avons vu permet de prévenir la chute. Au réveil, la chasse d’eau est tirée, et donc la seule manière de sauver efficacement les informations qui se font balayer, c’est de les ancrer consciemment alors qu’elles chutent. Mais il faut être aguerri car le rêve au réveil, c’est comme un énorme filet de poissons qui glisse à toute allure vers le fond.
Et des données au fond, c’est l’équivalent de l’oubli jusqu’à réactivation. Cette réactivation se fera grâce à une potentielle expérience future de la vie de tous les jours (~ résidu diurne), qui va raviver l’inconscientinconscient et ainsi entraîner la genèse d’un nouveau rêve (d’où l’impression de déjà vu dans certains rêves).
Parfois, on se fait réveiller par quelque chosechose d’externe (réveil, personne, …) en plein dans le « suspens ». Et nous sommes énervés d’avoir été réveillé à ce moment et de ne pas pouvoir connaître la suite. Alors que paradoxalement, se faire réveiller était peut-être le seul moyen d’accéder à cette conscienceconscience… Nous faisons tous l’expérience de l’amnésie sans le savoir puisque nous vivons énormément d’expériences oniriques dont nous n’avons aucune conscienceconscience dans le présent. Comme si c’était un autre qui les avait vécus…
Résidu diurne : « par exemple des enfants peuvent faire des cauchemars après avoir regardé un film d’horreur », exposition avec une fille → fille se retrouve dans le rêve
Néanmoins, il arrive parfois que des rêves nous aient tellement marqués qu’au réveil nous restons sur notre lit, à y repenser, dans une sorte d’état second – parfois un peu choqué par la discordancediscordance entre cette vie et celle qu’on avait il y a quelques minutes. Et oui, c’est bien « moi » qui ait rêvé et pas un « autre ». Ce rêve n’était pas un rêve…
(Tout est dans la logique)
Mais que sont les rêves, et quel intérêt gagne-t-on à s’y souvenir ?
À première vue, les rêves sont assez absurdes : les événements s’y enchaînent sans lien apparent, des personnes s’y regroupent alors qu’elles n’ont rien à voir, etc. C’est une espèce de pot-pourri de plein de chosechoses qui nous ont marqués (ou tout du moins qui revêtent un fort caractère émotionnel). La question est, pourquoi n’y a t-il – bien souvent – pas de sens alors que les objets (personnes, lieux) semblent réalistes ? Selon certaines hypothèses, cette absence de sens serait tout simplement la conséquence de la sous-activité du cortex de la raison, le cortex préfrontal : il n’y a plus de « supervision de la pensée ». D’un autre côté, il y a les hypothèses de plus haut niveauhaut niveau, qui supposent que cette absence de sens ne serait qu’apparente. Elles relèvent principalement de la psychanalyse, un domaine dont les concepts ont offert un point de vue assez intéressant quant à la signification plus profonde qu’auraient les rêves… Et comme pour répondre à beaucoup de questions en psychanalyse, le point de départ du raisonnement consiste à revenir à notre enfance.
Quand on est petit, on assouvit souvent des désirs basiques durant nos rêves, de manière plutôt claire (plein de cadeaux, « faire l’amour », être un super-héros, …). C’est pourquoi par abstractionabstraction, on peut penser que les rêves adultes qui à première vue n’ont aucun sens, reflètent eux aussi l’assouvissement de désirs. Le cerveaucerveau ayant évolué, notre propre inconscientinconscient cacherait lui même la vrai signification de ses rêves sous forme symbolique, laissant au conscient tout le travail d’interprétationinterprétation pour identifier le désir caché. Mais pourquoi donc l’inconscientinconscient « crypterait » la signification de ce désir ? Pour s’amuser ? Selon les théories de la psychanalyse, pas vraiment. En fait, le désir caché dans le rêve serait refoulé. Ce que cela signifie ? Qu’une partie du « rêveur » refusrefuse d’avoir conscienceconscience de ce désir car elle le trouve désagréable (une sorte de censure, en gros, à travers un blocage spécifique du processus de révélationrévélation, cf chapitre 18). La solution trouvée par l’autre partie de son inconscientinconscient pour faire accéder ce désir à la conscienceconscience et éviter la censure : le mettre en forme de manière cachée dans un rêve.
En résumé, si vous remarquez des chosechoses bizarres dans un rêve, c’est que cela cache sûrement quelque chosechose d’assez abject qu’une partie de vous refusrefuse d’accepter. Cela dit, ne tirez pas de conclusions hâtives de vos rêves étranges, car si même votre puissant inconscientinconscient n’a vu que du feu dans la mise en scène de votre esprit, c’est que les réponses ne sont pas évidentes à trouver. Il faut voir ça comme l’analyse de certaines œuvres d’art, ces « simples » peintures dans lesquelles les artistes cachaient beaucoup de secrets.
Film ou jeu-vidéo ? Cette vision de rêve mis en scène par l’esprit soulève une autre question : les rêves ne sont-ils que des films pré-faits ou bien a-t-on la capacité d’interagir avec le « monde » créé ? Selon moi la réponse se trouve entre les deux, ce qui présente les rêves sous forme de « Quick Time Event ». Abrégées « QTE », il s’agit de phases scriptées dans les jeux-vidéo dans lesquelles les protagonistes bougent tout seul à la manière d’un film, mais durant lesquelles le joueur peut interagir pour déclencher une séquence préprogrammée (et ainsi changer le cours d’une action, se rattraper d’une chute, se défendre d’un assaut, etc). Ce type de procédé a pour but de faire ressentir de fortes sensations au joueur, de lui donner l’impression de faire des chosechoses incroyables (~ difficulté artificielle) alors qu’au final c’est le jeu qui fait le gros du travail. L’analogie avec ce genre de contrôle est mise en avant durant les rêves « lucides » (càd dans lesquels le rêveur a conscienceconscience de rêver), et plus particulièrement ceux de vol ou de lévitation (assez courants) au cours desquels le rêveur exerce un contrôle de mouvement, d’atterrissage, etc. Je pense que le fait d’avoir conscienceconscience et de contrôler les mouvements d’une activité dangereuse est la source de l’appréhension et de la sueur perceptibles au réveil. Ainsi la réussite de ce genre d’actes périlleux en rêve peut avoir des vertus similaires à ce qu’elles auraient fournies si ce n’était pas qu’un « simple » rêve (satisfaction, fierté, …). Par conséquent, les « QTE » serait en quelque sorte une autre « invention » des hommes mimée sur une invention de la Nature (cf chapitre 1). |
Le sommeil
Pour mieux comprendre les rêves, il faut revenir au contexte dans lequel ils surviennent : le sommeil. Le sommeil occupe une très grande partie de notre temps de vie. Beaucoup trop pour certaines personnes ayant l’impression de ne rien faire « d’utile » et de perdre du temps pendant qu’elles dorment. Elles pensent généralement qu’il s’agit d’une « tare » en raison de nos limites physiologiques, tout au plus une simple pause récurrente pour « recharger les batteries » ; ce qui n’est pas complètement faux en fait, mais très réducteur.
En réalité le sommeil a deux grands rôles étroitement liés.
Premièrement, dans la globalité, il s’agit effectivement d’une période de récupération ; mais pas seulement physiologique, il s’agit d’une maintenance générale. Le sommeil permet de « remettre à zéro », de rééquilibrer ce qui est nécessaire, afin de démarrer une nouvelle journée et donner cette impression de nouveau départ.
C’est en ce sens que les rêves jouent un rôle particulier dans ce processus global, un rôle au niveau des émotions. Il s’agit plutôt d’agir sur des manques, des besoins, des valeurs à exprimer (cf thèse du besoin d’expression de la valeurbesoin d’expression de la valeur interne, chapitre 9) que sur des complexes d’Œdipe ou autres désirs freudiens. Le rêve serait l’occasion de rester en connexion avec certaines valeurs internes pour lesquelles nous n’avons pas d’ancre dans la réalité. Le rêve serait une ancre virtuelle.
Ce qui expliquerait pourquoi on ne se souvient pas de la plupart de nos rêves (à moins de se réveiller en plein dedans ou juste après) : ces rêves d’un soir n’ont pas d’importance réelle et servent juste à effectuer la maintenance à laquelle on ne peut échapper. En effet, nos besoins sont nombreux, variés et réguliers : tous les assouvir est une chosechose très difficile (voire impossible) à réaliser dans la réalité. Mais pour l’organisme vivant, éteindre complètement ses besoins ne serait pas adaptatif pour réussir dans le monde réel. Il est hors de question de se déconnecter de ses besoins même si on arrive pas à les assouvir, ce serait anti-adaptatif. Mais en même temps, ne pas assouvir ses besoins peut entraîner une dangereuse frustration… La présence d’un système comme le rêve est donc idéal…
Erreur : cyclecycle non terminé
En outre, on peut dire que les rêves servent à compléter les cyclecycles émotionnels (initiés dans la vie réelle) qui n’ont pas été clôturé par un événement concret. L’inconscientinconscient crée un rêve mettant en place un événement permettant de réaliser une action répondant au désir, afin de fermer la boucle et ainsi soulager la charge du système logique, l’esprit. Une espèce de catharsis en quelque sorte. (Ce qui expliquerait pourquoi il est si énervant de se faire réveiller brutalement – par un bruit, par une personne, … – quand nous sommes en plein « suspens » dans un rêve, alors qu’on ne se souviendrait même pas de l’existence de ce rêve si on avait pas été réveillé : c’est la frustration du catharsis brisé qui déclenche la réaction négative).
Le soucis de ce procédé c’est que cela consomme de l’énergie et ampute sur le vrai sommeil récupérateur. Du coup, si un individu accumule les cyclecycles non bouclés et qu’il est déconnecté de certaines valeurs dans la réalité, il rentre dans un cercle vicieux : son sommeil n’est plus récupérateur car il est dédié au « ménage » et il se réveille donc fatigué, c’est à dire bien plus susceptible de ne pas pouvoir terminer ses cyclecycles émotionnels et ancrer ses valeurs sur des chosechoses réelles.
Les rêves ne concernent pas seulement le court terme et les cyclecycles de la journée passée, ils ont une portée bien plus globale, une portée sur notre vie. D’ailleurs, plus un rêve se répète (ou tout du moins un thème), plus le manque sous-tendu par ce rêve est important. Plus que jamais, ces rêves servent à soulager (catharsis) mais aussi à indiquer la direction (pour combler réellement ce manque et régler définitivement le soucis).
Bref, se souvenir de ses rêves, pour ensuite les interpréter, permet donc de mieux se connaître et de résoudre ses conflits intérieurs. Ainsi, plus qu’une période de maintenance, le sommeil est une période de développement.
La nuit porte conseil
Même si les « rôles » exacts du sommeil sont encore assez obscurs, on sait qu’il existe divers mécanismes de développement qui lui sont spécifiques, au niveau de la mémoire notamment. En effet, pendant le sommeil, un processus de consolidation des nouvelles informations est mis en place : les apprentissages effectués dans la journée sont « répétés » (on parle aussi de replay) et transférés dans les zones de stockage à très long terme (à savoir le cortex). C’est seulement une fois rendu là bas qu’ils deviennent indépendants des structures de rétention temporaire (hippocampe).
Mais plus qu’une simple consolidation des informations, c’est une véritable « digestion » des informations qui a lieu pendant le sommeil. C’est d’ailleurs principalement de là que provient l’amélioration dans l’exécution des procédures dont je parlais à la fin du chapitre 17 (digestion procédurale) : on se réveille meilleur que lorsqu’on a arrêté. C’est ainsi que sans entraînement supplémentaire, la fluidité, la précision et la rapidité d’exécution de nos performances s’accroissent.
Et cette digestion ne concerne pas que la mémoire procédurale, les connaissances aussi sont optimisées ; les nouvelles données sont intégrées avec les anciennes, des mises en relation (~ recoupements) entre différents apprentissages sont effectués. Et de là s’installe un processus d’abstractionabstraction : des « tout » sont extraits à partir de plusieurs données ; les représentations de « règles », de « mélodies » (~ fluidités) et même des révélationrévélations vont émerger (cf chapitre 18).
TODO RévélationRévélation Hindsight, illumination, épiphanie, réflexion.
Tout comme les threads continuent d’être actifs et d’avancer en arrière plan lorsqu’on n’en a plus conscienceconscience, nous faisons beaucoup de chemin pendant le sommeil. Dans un futur où l’on pourrait, avec une machine, recharger ses ressources physiologiques (et seulement celles-ci) pour éviter le sommeil, je pense que les individus souffriraient d’un sous-développement conséquent au niveau de leurs capacités (notamment au niveau de la réflexion). Ce n’est vraiment pas pour rien que les bébés dorment énormément (et que les adultes aussi d’ailleurs). C’est le sommeil qui nous permet de faire autant de chosechoses pendant l’éveil ! La perte de temps serait de le négliger.
Bref, tout autant que l’éveil, le sommeil est une période d’activité. Une période d’activité différente certes, mais complémentaire, éveil et sommeil formant une dynamique duelle et cyclique. Autrement dit l’efficacité de l’un dépend de l’efficacité de l’autre : pour bien vivre il faut bien dormir, pour bien dormir il faut bien vivre.